dimanche 26 octobre 2014

2013, L’ANNÉE DE LA GUERRE ECONOMIQUE: LES DUELS COMMERCIAUX S'ENVENIMENT

Stagnation européenne, essoufflement chinois, incertitude américaine... 
Alors que l'horizon de croissance s'assombrit, les tensions 

s'exacerbent tous azimuts. "L'Expansion" dessine les contours 

de cet affrontement mondialisé.


Par  et 

Barack Obama himself. Le président des Etats-Unis en personne... 
attaqué en justice. Le 1er octobre dernier, pour la première fois depuis 
l'indépendance américaine, une société commerciale - chinoise, 
de surcroît - a porté plainte nommément contre l'un des hommes 
les plus puissants de la planète. Un toupet confondant ! 
Mais l'accusation faisait suite à une décision plutôt culottée 
de la Maison-Blanche.  


Trois jours plus tôt, alors en campagne dans l'Oregon, Barack Obama exhumait un texte de 1950 pour annuler l'acquisition par le chinois Ralls Corp. de fermes éoliennes locales supposées trop proches d'une base navale. Un mois plus tard, aux élections, le président remportera l'Etat de l'Oregon. Mais à quel prix ? Celui d'un regain de tension avec son "partenaire" chinois, et celui d'un pas de plus sur le chemin périlleux de la guerre commerciale tous azimuts.  
Tricheries et filouteries économiques en tout genre paraissent effectivement bien contagieuses en ces temps de crise. En particulier dans le secteur des énergies renouvelables. Washington frappe depuis cet été le matériel photovoltaïque chinois d'un droit de douane compris entre 31% et... 250%. Et tout le monde s'attend bien sûr à une riposte de Pékin. Or le virus querelleur se transmet même à l'Europe, d'ordinaire si encline à refouler son passé belliqueux. Depuis début novembre, la Commission de Bruxelles planche sur une plainte déposée par les fabricants européens de panneaux solaires contre la Chine, accusée de faire du dumping. Elle s'ajoutera peut-être à la longue liste des conflits enregistrés dans l'indifférence auprès de l'Organisation mondiale du commerce, un peu penaude face à ce spectacle. Car tous les indicateurs de "conflits commerciaux" ont franchi la cote d'alerte.  


A l'OMC, le nombre de différends sur les onze premiers mois de 2012 a triplé, comparé à l'année dernière. Les scrupuleux comptages du Pr Simon Evenett, à la tête du Global Trade Alert, pointent 1 639 mesures protectionnistes depuis novembre 2008. Soit une par jour en moyenne ! Sous la forme de barrières à l'entrée, de lois antidumping et de quotas d'exportation.  
Le monde marche partout à la lisière de la guerre commerciale et, en quelques endroits, pourrait bien basculer dans le ravin du conflit. Et pourtant, les pays continuent d'échanger à marche forcée. Les Etats-Unis achètent en dollars pour 1,2 milliard de produits chinois chaque jour depuis janvier 2012. L'Union européenne lui règle 1 milliard au quotidien. Et réciproquement, même si le déséquilibre se fait au bénéfice de l'empire du Milieu (158 milliards de dollars d'excédents commerciaux en 2011). Un démenti apporté aux illusions de Montesquieu. "L'effet naturel du commerce est de porter à la paix. [Il] rend les nations réciproquement dépendantes", s'enflammait le seigneur de La Brède. Mais non, des navires de commerce peuvent très bien voguer de conserve avec des vaisseaux de guerre.  

La baisse des coûts salariaux est devenue une obsession

C'est le grand paradoxe de la mondialisation : multiplicateur de richesse quand le moteur de l'économie tourne à plein régime, mais source de frustration quand il cale. "Normal. Comme le gâteau ne grossit plus, chacun se bat pour obtenir la plus grosse part. Et le meilleur moyen pour y parvenir consiste à réindustrialiser.  


Tous les pays veulent à nouveau construire, ou du moins conserver des usines", décrypte Sylvie Matelly, directrice de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Un peu comme si la répartition des rôles qui a prévalu depuis le début des années 80 avec, d'un côté, la "Chine-atelier du monde" et, de l'autre, "l'occident-consommateur final" volait aujourd'hui en éclats. Dans les pays développés, l'utopie d'un futur sans usine s'est brisée sur le mur du chômage de masse. Partout, on vante les mérites des cheminées fumantes et des chaînes de montage riches en main-d'oeuvre. Et à la bataille Nord-Sud se superpose une nouvelle guerre, peut-être plus sournoise, puisqu'elle se joue au sein même des blocs. 
L'entente des Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine) auxquels il faut ajouter la Turquie, le Mexique ou encore l'Indonésie n'est finalement qu'une alliance d'opérette, une coalition de circonstance pour obtenir quelques sièges au FMI et dans les instances internationales. Dans la réalité, les poids lourds émergents se livrent une vraie guerre commerciale (voir tableau page précédente). La Chine, où les salaires dans l'industrie manufacturière ont progressé de près de 10 % par an au cours des dernières années, se fait aujourd'hui damer le pion par le Vietnam, le Bangladesh ou le Pakistan. L'heure de travail dans l'industrie textile est désormais moitié moins chère en Albanie que dans le delta de la rivière des Perles. Or, sur la "moyenne gamme", c'est désormais le Mexique qui fait de l'ombre à l'empire du Milieu.  


Par un effet de ciseau particulièrement pervers (rattrapage des salaires en Chine, stagnation au Mexique), l'écart de rémunération entre les deux pays, qui atteignait 300 % en 2004, a presque disparu aujourd'hui, d'après les calculs des experts de JP Morgan. Du coup, Mexico fournit désormais 15 % des importations totales des Etats-Unis, contre 11 % à peine en 2005, talonnant ainsi Pékin. Une percée qui dérange l'autre géant latino, le Brésil. Tournant le dos aux années Lula, la présidente Dilma Rousseff entraîne aujourd'hui son pays dans un choc de compétitivité à faire pâlir d'envie les dirigeants du Medef : réduction des salaires des fonctionnaires, réforme des systèmes de pension privé et public et, surtout, baisse drastique des cotisations sociales payées par les entreprises, jusqu'alors les plus élevées du monde émergent. 

Dans le club fermé des pays riches aussi la baisse du coût de la main-d'oeuvre est devenue une obsession. "Nous sommes attaqués sur le coût du travail par tous les pays autour de nous dans la zone euro. Et c'est ici, en Europe, que nous accumulons des pertes", déclarait encore récemment Arnaud Montebourg, le bouillant ministre du Redressement productif. Ce n'est donc pas seulement la Chine, le problème. Mais l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, où les coûts unitaires de la main-d'oeuvre ont reculé de près de 5 % en deux ans. 
Derrière une unité de façade, les Européens se bagarrent aussi sur les prix de l'énergie, un élément clé de la compétitivité dans de nombreux secteurs industriels. L'Allemagne vient ainsi de décider qu'elle rétrocéderait, dès janvier 2013, aux entreprises très gourmandes en énergie (chimie, sidérurgie, papier) le fruit des ventes aux enchères des quotas de CO2. "Pour les sidérurgistes allemands, ce cadeau pourrait représenter presque 10 % de leurs marges", calcule Emmanuel Rodriguez, directeur des achats d'énergies à ArcelorMittal. 


Les régions riches traversées par des tentations sécessionnistes

Dans cette course sans fin et suicidaire au moins-disant fiscal et social, et sur fond de disette budgétaire, les mécanismes de la solidarité nationale, les fondations de nos vieilles nations, sont menacés. Comment expliquer autrement les tentations sécessionnistes et indépendantistes des régions - riches - comme la Catalogne ou la Flandre, lassées des transferts fiscaux massifs vers d'autres territoires moins bien lotis ? "Une page se tourne, celle de la solidarité nationale implicite et de l'égalité territoriale", analyse très justement Laurent Davezies dans La crise qui vient. En 1989, dans l'espoir d'une paix universelle, le philosophe Francis Fukuyama annonçait "la fin de l'histoire" ; l'année 2013 s'annonce plutôt comme celle du "retour de la géographie". 


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