mardi 20 décembre 2011

En 51 ans, pourquoi 47 coups d’États en Afrique francophone ?


ÉTAT FRANCO-AFRICAIN : INTELLIGENCE POLITIQUE ET STRATÉGIE

Par Patrice PASSY
 

1- Les États africains dits francophones ont hérité d’une tradition française, la France est l’un des rares pays d'Europe occidentale (France, Grèce) à avoir connu près de trois coups d’État. Elle n’a fait que transférer à ses « ex-colonies » ses mauvaises habitudes politiques et anticonstitutionnelles de résolution de conflits politiques internes. 
 

        2- La poursuite de la réponse à cette question nous permet d’accéder aux origines du pathétique africain, en d’autres termes, à la compréhension des usages de coups d’État, comme moyen militaire et méthode politique de maintien et de pérennisation des intérêts français dans son espace francophone africain. La dernière livraison ivoirienne de 2011, est la démonstration la plus robuste de la tradition diplomatique française en Afrique. Tout cela au mépris des intérêts supérieurs de ces États. L’Afrique est encore la seule partie du monde ou le cours de l’histoire peut être changé avec une centaine d’hommes armés, même mal entraînés. 


Le coup d’Etat comme moyen simple de résoudre les complexités de la gestion d'intérêts multiples.


L’indépendance des pays d’Afrique francophone a été octroyée par la France dans les années 1960, c’était une volonté souveraine, de donner de la liberté politique apparente à ses ex-colonies. Pour gérer ses intérêts après la décolonisation, mieux vaut disposer des hommes de mains, des hommes de confiance, des amis de la France, des relais locaux dociles, soumis et sans culture de l’intérêt national. Cependant, à ces derniers dans la gestion de leur cité, la France, interdit l’implantation ou le développement de la culture démocratique pour laisser se développer avec ses encouragements, la culture du parti unique en clair de la dictature politique . C’est ainsi dès 1963, le Congo-Brazzaville ouvre le bal des règlements politiques par la violence avec  des méthodes anticonstitutionnelles. David Moussaka et Félix Mouzabakani renversent le Président Fulbert Youlou,  cette même année Emmanuel Bodjollé renverse Sylvanus Olympio au Togo. Puis à partir de 1965, 33 pays sur 53 ont connu comme solution de facilité ou de règlement des situations politiques : le coup d’Etat. L'Afrique aime les modes, le coup d'Etat était le mode de réglèmemnt recommandé comme l'est aujourd'hui la mode des élections truquées ou l'affiliation présidentielle. C'est la période des années de décroissance économique continue. La dictature éclairée, brutale, n'avait pas d'importance, le principal était d'être et de demeurer un  fidèle ami de la France, peu importe la manière, l'art et l'intelligence. La violence a connu sa période faste en Afrique avec ce genre de logique.     
 

        Très préoccupés par la stabilité politique dans sa zone de confort économique, les intérêts français vont prendre part à l'émergence en Afrique francophone des formes de gouvernements dans lesquelles, une personne seule, quelques membres d’une ethnie, un groupe d’officiers va posséder un pouvoir absolu, sans contre pouvoirs et sans mandat déterminé. 


Mission d’un coup d’Etat en Afrique francophone


La mission
 

         Elle consiste simplement à se libérer du contrôle parlementaire, constitutionnel, réglementaire afin de gérer les affaires économiques, stratégiques dans l'opacité la plus totale tant pour le peuple que pour les intérêts du pays. 


Le rôle du coup d’Etat



      Son rôle principal est de briser tous les liens nuisibles aux exploitations des rentes. Le coup d’Etat comprime la parole, disout les contrôles, disloque la continuité de l’Etat et permet aux putschistes de se défaire de tous les contrôles économiques, stratégiques, intellectuels et identitaires d’un Etat viable. La conséquence est l’installation des chaos, donc des servitudes. Ces dictateurs une fois au pouvoir l'ont conservé en établissant un régime de parti après un coup d'État militaire. Aujourd’hui les méthodes sont moins sanglantes, mais tout aussi mortifères pour l’expression de la démocratie. Il s’agit d’utiliser  généralement la force ou la fraude pour gagner le pouvoir et le conserver par l'intimidation, la terreur, la répression des libertés civiles, et le contrôle des médias de masse ainsi que  la propagande ou la violence militaire pour réprimer l'opposition. En favorisant la métastase des régimes dictatoriaux, la France a laissé se développer le cancer ayant terrassé les régimes actuels à savoir : la corruption.
 

        Le coup d’État en Afrique francophone se produit lorsqu’un groupe de traîtres de la Nation, d’opposants au développement harmonieux du pays, de mécontents légitimes, grâce des moyens anticonstitutionnels prennent le pouvoir, généralement par surprise, à la suite d’un conflit armé de basse intensité, d’une situation politique conflictuelle directe ou téléguidée. 


Les quatre causes d’un coup d’État en Afrique francophone



          Dans les habitudes politiques de l’Etat franco-africain, on n’aime pas deux choses : la nouveauté et les chefs d'Etats "patriote". Toute nouveauté en France fait peur, en politique on n’aime pas les sauts dans l’inconnu. Car la complexité des rapports économiques et stratégiques veulent la stabilité, la continuité, et des partenaires de confiance. Il est plus facile de travailler avec  putschiste issu de l’ancien régime, avec dictateur mutant en démocrate, un dinosaure politique recyclé en démocrate qu’un démocrate régulièrement élu et intransigeant sur les intérêts de son pays. 
 
       Grosso modo, l’exécution du coup d’État se doit d’être rapide, minutée et bien coordonnée. C’est une opération militaire qui n’admet pas l’impréparation. La porosité des services des renseignements du pays cible, fait que le secret de la préparation se fait souvent sans trop d’effort, les complicités et oppositions internes aidant les corruptions utiles. De la rapidité d’exécution dépend le succès de l’opération ce qui limite aussi le nombre des victimes. Il n’est pas beau actuellement d’arriver au pouvoir en marchant sur un tas de cadavres. Les cibles prioritaires lors de la conquête des organes vitaux de l’État sont le palais présidentiel, le parlement, le sénat, la télévision nationale, ainsi que la radio d’État. Les organes vitaux de l’État (le ministère de la Défense, le ministère de l'intérieur, la banque centrale, le ministère de la communication, l’État Major, les frontières, sont généralement infectés des hommes de mains des putschistes chargés veiller à la neutralité des caciques du régime ou de neutraliser toute action ou réaction contraire). Les membres du gouvernement sont ainsi rapidement mis, après la conquête de la Présidence, en état d’arrestation pour mieux s’assurer de la neutralité bienveillante ou imposée des membres du régime. 
 
       L’habillage communicationnel prend le relais pour expliquer le pourquoi du comment à l’opinion nationale que les radios étrangères ont préparé pendant des mois. L’opinion internationale au courant des affres du dictateur finit par lâcher et accepter le renversement ou la mort (le dernier cas d'école est la mort de Kadhafi). Les connivences diplomatiques sous- régionales et internationales vont tourner à plein régime pour la reconnaissance du régime, ou observer un silence bienveillant. L'ex puissance colonial superviseur du putsch se charge auprès des grands de ce monde de légitimer, d'expliquer et de monnayer le coup de force. Les conseillers juridiques externes payés à grand frais rentrent en scène pour modifier la constitution, enseigner les nouvelles méthodes de  trucage d'élections, de préparation des référendums, ou des plébiscites. Continuer est douloureux pour les démocrates africains...j'arrête !

Mais...ainsi va l’Afrique dite francophone.

       En Afrique francophone être président à la fois dangereux et simple avec ses 47 coups d’Etats réussis en 51 ans de gestion des concessions postcoloniales par les afro-français, c’est le moins qu’on puisse dire. 

Pourquoi l’exercice du pouvoir est-il particulièrement si dangereux dans nos contrées ?

       Parce que la France n’a pas été capable à ce jour, de donner du sens à son action en Afrique francophone. C'est-à-dire l’ensemble des idées fortes (droits de l’homme, démocratie, développement des pays amis, intérêts français…) associés à son action, ou encore l’exposé clair du principe intelligible aussi bien de la stratégie que de la méthode qui se rapporte aux actions françaises en Afrique. L’incapacité à s’adapter face au nouveau africain, l’ignorance de la rue africaine, le manque de compétence interculturelle, l’absence de cohérence et de structures dans ses expressions, la faiblesse de ses moyens financiers, militaires se sont chargés de rendre inopérante la communication sur le sens de l’État franco-africain.
 
         Lorsque le principe de raison suffisante comme l’exige les philosophes ne permet pas de donner un sens au monde franco-africain, c'est-à-dire sa raison d’être, il est difficile de consolider le contrat d’adhésion imposé aux « Républiques sœurs d’Afrique » dès la fin des années 50. Or nous savons tous que sans sens du monde, l’État franco-africain n’agit pas, la France réagit presque systématiquement non plus pour la protection de ses intérêts mais pour la survie de ces derniers. Cependant, sans sens de son action (ce qui arrive quand on survie) la protection systématique de ses intérêts dans la zone franc comme finalité de sa présence n’a plus de légitimité, ni d’assise mobilisatrice. Le coup d’État devient le moyen facile d’être et durer ou de réparer ce que les myopies stratégiques, les faiblesses blâmables françaises ont laissé gangréner depuis des décennies. 
 
      Les coups d’État en Afrique francophone sont donc l’expression d’un affrontement  permanent d’intérêts multiples et de visions (vision économique et politique françaises, vision démocratique ou de développement selon les spécificités et les forces en présences de chaque pays). Entre le difficile respect des contraintes démocratiques, le contrôle parlementaire, la morale française, le respect de la loi et la facilité du désordre comme finalité politique, la France choisit souvent la solution qui est la plus confortable loin de ses frontières à savoir : la voie du diable, c’est à dire : les coups d’État pour y ériger des dictatures qui favorisent l’exploitation tranquille des rentes, la pérennisation de ses intérêts, positions géostratégique et sa langue...
Celui qui est placé par les intérêts français naturellement après un coup d'Etat est un ami de la France. Cet ami est bien conscient que les intérêts  de la France passent avant ceux de son pays et qu’il doit impérativement renvoyer l’ascenseur dans les plus brefs délais.  Oublier de le faire, le non respect ou la contestation de ceux-ci, sont souvent la cause d'une mort violente....L’actualité en Afrique francophone 51 ans après fourmille d’exemples des plus scabreux ou des plus sordides...

CAFÉ HISTOIRE AFRIQUE COMMENCE EN 2012, QUI QUE VOUS SOYEZ VOUS ETES ATTENDUS !!!

patrice.passy@hotmail.fr 

lundi 19 décembre 2011

2012 : le drame africain (le DA) « La question de l’impossible africain »


ETAT FRANCO-AFRICAIN : INTELLIGENCE POLITIQUE ET STRATEGIE D’INFLUENCE
 Par Patrice PASSY - Conseil en communication d’influence et Intelligence stratégique

«Le désir est l'épreuve présente du besoin comme manque et élan, prolongé par la représentation de la chose absente et l'anticipation du plaisir ».
Paul Ricœur.
 
Cette définition du désir proposée par Ricœur constitue un excellent point de départ pour notre réflexion sur la question de l’impossible africain.
Chers internautes…souvenez-vous du succès du Sénégal sur la France (1-0) le 31 mai à la Coupe du monde de football en 2002. Imaginer la fierté du peuple Camerounais en ramenant des Jeux Olympiques de Sydney, la médaille d’Or de football à Yaoundé... Ils ont réalisé l’impossible. L’impossible en 2012 reste et va être l’élément constitutif du Drame Africain (je vais le nommer ici sous le vocable : le DA).
Ce qui suit est d’une simplicité robuste pour les peuples, merci de le transmettre aux jeunes et surtout d’insister auprès de la « marée noire des indignés » et des « silencieux démotivés ». Ces succès dis-je, avaient caressé l’estime de soi de ces peuples, la grande fierté d’avoir porté haut les couleurs du Sénégal et du Cameroun à l’international. Les Sénégalais et les Camerounais pendant quelques heures, jours et certainement des semaines ont permis à leurs  peuples d’oublier le quotidien moins valorisant pour vanter leurs réussites. Il en est ainsi, chers internautes dans l’histoire des peuples, en vivant plusieurs expériences de succès, un peuple développe graduellement un sentiment de compétence, c’est-à-dire la conviction qu’il peut mobiliser et utiliser efficacement un ensemble de ressources, de connaissances, de stratégies, d’habiletés,  d’expériences pour faire aboutir une réponse à son existence. Ce soir du 31 mai 2002, les africains et africaines étaient nombreux à espérer symboliquement, la défaite de l’ancienne puissance coloniale, mais sans trop y croire, parce qu’elle était impossible dans leur subconscient et conscience. Impossible n’était pas Sénégalais ce soir là. Ces victoires (Sénégalaise et Camerounaise) ont caressé l’estime de soi des africains de manière générale, une fenêtre était ouverte. Enfin c’est possible, de travailler et de gagner, d’être discipliné et de battre nos murs mentaux. Le volcan des frustrations africaines était entré en fusion, les laves brûlant d’espoir comme lors des conférences nationales dévalaient sur les pentes des impossibilités congénitales africaines, et le feu de la renaissance africaine chère à Mbeki (ancien président sud africain, chantre de la renaissance africaine) pouvait enfin brûler nos forêts des ignorances. Je vais trop vite peut être...Mais bon nous voilà au cœur du Drame Africain (le DA).
 
Le Drame Africain (le DA) c’est de ne pas avoir des exemples galvanisant, de manquer de repères fédérateurs, de figures de proue élevées au dessus des rivalités ethniques, des intérêts communautaires, et des dictatures.
En Afrique, la pensée vole, les projets foisonnent, les richesses dorment, les motivations s’essoufflent et les mots vont à pied dans un monde qui court à la vitesse de l’information et de l’image. Voilà tout le Drame Africain (le DA).
Qu’est ce à dire ?
 
Depuis, la rencontre avec le colon, l’Homme Africain n’a plus jamais été son propre fondement, son pathétique a été engendré par l’orgueil de l’Autre, sa continuité, tributaire d’une autre civilisation. Celle-ci pour se maintenir dans l'Homo africanus, a organisé ses lieux de pensées, de savoir et de rêves, le tout dans une logique de l’accoutumance ou par une stratégie directe et indirecte de l’emprise. Tous le disent et pas n’importe qui, Nicolas Sarkozy[1]. « Ils ont eu tort…Ils ont créé une angoisse, un mal de vivre. Ils ont nourri la haine. Ils ont rendu plus difficile l’ouverture aux autres, l’échange, le partage parce que pour s’ouvrir, pour échanger, pour partager, il faut être assuré de son identité, de ses valeurs, de ses convictions. Face au colonisateur, le colonisé avait fini par ne plus avoir confiance en lui, par ne plus savoir qui il était, par se laisser gagner par la peur de l’autre, par la crainte de l’avenir. »
L’impossible comme frein au monde des possibles africains
Quel est donc le frein qui retient les « Républiques sœurs d’Afrique » à l’intérieur d’un système d’échanges qui les aliène, les domine, sans contrepartie sans devoirs et responsabilité ?
Il s’appelle : Impossible
 
En l’occurrence, impossible est ce qui paraît tout à fait improbable aux africains. En 2011, après la Côte d'Ivoire, la Libye, toute l'Afrique a compris, que l'"utopie" devient impossible. Une utopie est une chimère, une construction purement imaginaire dont la réalisation est, a priori, hors de notre portée.

Mais pourquoi impossible ?
IMPOSSIBLE est d’une tension particulière dans l’État franco-africain. Notre drame c’est de n’avoir pas rendu possible nos impossibilités à l’égard de nous même et face à la France. Les contrats léonins (les accords de défense au soir des indépendances) qui caractérisent globalement la relation entre la France et ses « colonies » sont des contrats à maints égards abusifs qui engendrent en 2011, un déséquilibre global très fort instituant ainsi, une relation de puissant à faibles.
Beaucoup de personnes se posent naïvement la question suivante : comment la France réussit-elle à s’imposer à la mosaïque africaine ?
Parmi les solutions épidermiques que j’entends, il y a la rupture, le tout sauf la France. La solution en apparence est toute simple, pourquoi ne pas se révolter pour balayer cette domination qui dure depuis plus d’un siècle sur 14% du territoire du continent africain ? La mise en œuvre d’une telle solution est rendue difficile depuis les premiers instants de la rencontre avec l’Autre. En 2011, malheureusement, la situation ivoirienne et la mort de l’infortuné KADHAFI indiquent clairement que le mot impossible s’érige en mur antidémocratique.
Impossible, vue de France
Du coté français cet adjectif exprime dans le cadre de sa domination, une réelle difficulté : la mutualisation d’une véritable indépendance est un horizon insupportable à partager voire, à proposer aux africains.
Impossible, vue des palais présidentiels africains
Les francophones africains dans un rapport du faible au fort avertissent qu’exister, émerger et décider contre les intérêts français est une logique qui déborde des limites du bon sens, du raisonnable de notre histoire commune. L’acquisition des indépendances en 2012, différend de l’octroi des indépendances des années 60, est donc une double impossibilité franco-africaine. 
Quand vous posez la question de la liberté africaine hors média et sans langue de bois aux pouvoirs politiques et aux entreprises françaises du CAC 40, ils vous répondent que c’est : impossible. Les relais locaux ainsi que l’élite décisionnelle dans un défaitisme traditionnel, répondront aussi avec le même fatalisme : c’est impossible. Puis, têtes baissées, ils ajouteront, je sais que ce n’est  pas ce qui devrait être dit cher monsieur, mais c’est impossible.
Pourquoi c’est impossible ?
En Afrique francophone, l’homo-africanus à développé une nature, celle de l’impossibilité d’action, d’agir, de faire et d’être. En se faisant confisquer par le colon, ses libertés des suites de sa défaite de la pensée, il s’est ainsi privé, son propre libre choix. La défaite de la pensée a donc érigé dans l’homo-africanus, un « baobab des servitudes » que le colon a laissé à ses relais locaux, le soin d’amplifier, de pérenniser et de rentabiliser. Pour être et durer, le génie français a fait assimiler aux « génies africains » ses intérêts particuliers présentés comme intérêts franco-africains. La France a donné à ses idées tout au long de ces échanges asymétriques une forme d'universalité,  de vérité universelle. De sorte que, la société métropolitaine pendant la colonisation, en plus de générer des réalités et conduites sociales, a fournit aussi des représentations idéologiques qui ont servi à s'assurer l'adhésion des élites, et des relais locaux qui, eux, ont assuré et continue de maintenir l’État franco-africain en place. 

Le meilleur exemple est la défense de l’exception culturelle française grâce à l’Organisation Internationale de la Francophonie. Cette illusion de l'intérêt collectif franco-africain est entérinée par le soft power  à la française véhiculé par l’histoire, l’enseignement, l'éducation, la religion, la coopération française, les moyens de communication de masse (télévision, radio, journaux) etc. Le formatage intellectuel ainsi que le cadrage moral n’ont fait que renforcer les pauvretés africains et promouvoir le règne des corruptions et du chaos déstructurant.
Le Drame Africain (le DA) est  devenu, la capacité intellectuelle que les africains ont, à faire de beaux constats, sans jamais construire en réponse, une solution constante dans la durée, cohérente et transversale à nos impossibilités. Tel est le drame africain ! 
Impossible est aussi le refus d’être
Le Drame Africain (le DA) c’est le refus volontaire de marquer d’une manière indélébile la conscience collective française dans un sens qui nous soit favorable. L’impossibilité africaine résume ainsi les péripéties existentielles de la raison africaine qui cherche dans ses déploiements des suites de la rencontre avec l’Autre, la symétrie et  l’équilibre d’une présence à redéfinir et d’une harmonie à réaliser.
Le Drame Africain (le DA) est le parcours du combattant africain voulant s’approprier la modernité française imposée sans lien organique avec sa capacité d’appropriation ou d’assimilation. «…L’Afrique a sa part de responsabilité dans son propre malheur. On s’est entretué en Afrique au moins autant qu’en Europe. Mais il est vrai que jadis, les Européens sont venus en Afrique en conquérants. Ils ont pris la terre de vos ancêtres. Ils ont banni les dieux, les langues, les croyances, les coutumes de vos pères. Ils ont dit à vos pères ce qu’ils devaient penser, ce qu’ils devaient croire, ce qu’ils devaient faire. Ils ont coupé vos pères de leur passé, ils leur ont arraché leur âme et leurs racines. Ils ont désenchanté l’Afrique. Ils ont eu tort...»[2] 
Toutes ces pertes (repères historiques, pertes culturelles, enrichissement culturel non maîtrisé, confusion identitaire, le nouveau rapport à l’argent, à la richesse, au Dieu d’Israël, d’Abraham…) comme un torrent de boues ont submergé tous les systèmes de défenses et d’adaptation de l’homo africanus au nouveau monde importé. 
         Il y a un Drame Africain (le DA) parce que l’État franco-africain dont le but véritable est de maintenir l'ordre depuis de Gaulle a été établi et renforcé en tant que médiateur des intérêts supérieurs de la France et des intérêts africains. Toute organisation intelligente a compris que dans cette mondialisation accélérée et sans scrupule, seul un regroupement d’intérêts peut donner aux États qui se donnent les moyens, une force et des marges de négociation sur le plan international.
Que constatons-nous dans la mosaïque africaine ?
       Aussi irréaliste que ça puisse vous paraître, la mosaïque africaine à du mal à passer de la logique concurrentielle interne[3] pour le panthéon français à une coopération interafricaine porteuse de germes fédératrice d’intérêts. Elle n’y voit pas d’intérêts immédiats. Cette mosaïque a du mal à traduire par des actes, les implications nécessaires, d’une culture stratégique régionale. Les « Républiques sœurs d’Afrique » sont encore à s’opposer sur des intérêts individuels, sur des titres honorifiques, des honneurs sans fondements, au nom des peuples. Tel est le drame africain !
        Il y a un Drame Africain (le DA), car est le passé coloniale dont les effets continus, n’ont jamais été analysés 51 ans après, en vue d’une thérapie de groupe, constitue un mur difficile à franchir avec que des mots et des besoins d'aide... La colonisation a violemment colonisé l’imaginaire et nous empêche d’envisager « demain » autrement qu'avec des lunettes d'emprunt. Elle a réussi à  nous plonger dans l’obligation de délaisser notre écosystème de vie pour être marié de force au système capitaliste français. Celui-ci nous a enseigné que le génie français nous apporterait un futur meilleur, que notre humanité serait sans cesse améliorée. Dire que la gestion de la colonisation par la France n’est pas responsable du réel africain francophone à ce jour est une injure à l’intelligence de la jeunesse africaine. Dire que l’impréparation de la décolonisation n’est pas le générateur du drame de l’Afrique est une provocation, un crime contre l’esprit. La colonisation est au centre de nos infériorisations, le sentiment d’être et d’exister par procuration sur la scène internationale, rejeté, abandonné, incompétent sont des notions volontairement développés par l’Autre par et dans sa langue aux fins de développer une faible estime de soi.
      Le Drame Africain (le DA) est donc un tissu de servitudes, d’incapacités et d’échecs que les effets secondaires de la colonisation ont laissé métastasé sans perspective de soins ou de thérapie de groupe dans l'homo africanus. Le drame africain est cette faible estime que nous avons de nous, qui nous prive toute anticipation sur l’avenir et nous interdit toute démarche prospective, car à quoi bon ! Mieux vaut attendre l’aide de la France. Le mot est lâché. L’aide : véritable drame de l’Afrique, source de notre honte, source de profit des intérêts français, de détournement de toutes nos richesses : le crime économique parfait. A ce jour la génération du millénaire a compris que compter sur l’aide de la France c’est mourir par les intérêts français. La France a participé activement à la « léthargie permanente » des disponibles africains. Sous le manteau circule un constat : avec la France comme mentor économique les africains n’ont pas connu un « monde des possibles » comme le disait Karl Popper, mais ont hérité d’un « impossible monde ». Tel est le drame africain.
Le Drame Africain (le DA), est que nous sommes le seul continent qui ne possède pas, ou très peu, ses propres spécialistes, analystes, savants, idéologues, constitutionnalistes, Prix Nobel. Quand ils ont le bonheur d'exister ils sont soit étrangers, ou issues des écoles d'ailleurs. 
Et pourtant, les connaissances sont considérées aujourd’hui comme un actif stratégiques tant par les entreprises françaises en Afrique que par l’État français. Elles sont donc pour ce dernier un pouvoir.  Grâce à la connaissance de nos terroirs, de nos forces et faiblesses, de son savoir-faire indéniable, la France s’est dotée d’un pouvoir puissant et séculaire. C’est grâce à ce pouvoir qu’elle a su maintenir les États africains dans un système de dépendance intégrale. Mis au point sous la cinquième République, exécuté par Foccart principalement, ce système modulaire et modulable, toujours en vigueur est  comme un agrégat de mutants qui s’adapte sur le corps économique « Afrique » selon les appétits des concurrents/partenaires de la France.
Il y a  Drame Africain (le DA) parce que les connaissances, l’intelligence, les savoirs, les compétences sont les ennemis du pouvoir en Afrique. Il y a drame, parce que c’est interdit de s’élever par l’effort, le courage, l’initiative, la compétence, le mérite. Il y a drame, parce que toute réussite en Afrique francophone est suspecte. Les connaissances sont une source de peurs et d’angoisses pour les classes dirigeantes, la lumière dérange dit-on. Pourquoi : souvenez du manque d'estime de soi et son corollaire le manque de confiance. Un effet secondaire de la colonisation.  Il y a drame, parce que les combines et non le management de projets, valorisent mieux celui qui sait s’en servir.
 
Pour conclure
L’Afrique francophone a vécu en 2011, de manière éclatante la dictature du système de dépendance intégrale français.  En effet, ce système grâce à sa communication d’influence, drapée de ses paravents (droit de l’homme, droit d’ingérence humanitaire, prime à la démocratie, l’Organisation des Nations Unies, les accords de défense postcoloniaux, la pseudo protection des populations civiles…) a bien stigmatisé puis réprimé toute indépendance économique et politique hors de France par extension depuis quelques temps, hors du monde occidental. Les élites d’Afrique francophone, c'est-à-dire les consommateurs de ces produits de la communication d’influence, n’ont opposé aucune résistance face à la médiacratie française. La raison est d’une efficacité redoutable. 
Sans points d’ancrage (culturel, philosophique, coutumier, traditionnel, sociologique, intellectuel, linguistique…) du fait d’un demi siècle de formatage tout azimut, ces élites ont assisté sans défense, sans combattre faute d’appartenance, à la mise en œuvre d’une solution française en Côte d’Ivoire, en Libye au mépris des règles élémentaires du droit international. Les paravents présentés par la communication d’influence ont paralysé l’ensemble des peuples africains qui ont tous suivi, regardé, applaudi une réalité dont les dessous des cartes et le rapport de forces les rendent complices de leur propre mort. Ces paravents ont diabolisé toutes lucidités, laver tout cerveau et rendu dépendant les Ivoiriens de la solution française. La prise du contrôle des esprits s’exerce par la tyrannie médiatique. La surinformation made in France est l’un des moyens mis en œuvre par le véritable bras armé du système de dépendance intégrale qu’est la diplomatie de connivence[4] en Afrique francophone où les chefs d’Etats Africains ont lâchement acquiescé et fermé les yeux devant le « délit d’arrogance du maître » en Côte d’Ivoire. 
La dépendance, est cette capacité qu’a la France à générer le manque de solutions africaines aux problèmes africains. C’est une combinaison de facteurs, qui a ainsi scientifiquement décérébrer l’acteur politique africain. Elle lui a fait porter un corset multi-blocages qui l’oblige à éviter de nuire aux intérêts français qui deviennent à cause des avancées chinoises sur le continent dans le "pré-carré français": les intérêts occidentaux..                                        Tel est le Drame Africain en 2012
 
patrice.passy@hotmail.fr  



[1] Allocution de Nicolas Sarkozy, prononcée à l’Université de Dakar 26 juillet 2007
[3] Être appelé le doyen des chefs d’États africains est très important en Afrique francophone, un chef d’État est très malheureux quand le titre ami de la France lui est retiré…

[4] Derrière ce flou terminologique se dissimule une continuité profonde : la prétention des plus «grands», formalisée à partir de 1815 à travers une «diplomatie de concert», à se partager le pilotage du monde. On retrouve aujourd'hui cet entêtement oligarchique dans les nouveaux «directoires du monde» que seraient le G8 puis le G20, qui renouvellent pourtant les blocages. La diplomatie de connivence : Les dérives oligarchiques du système international. Bertrand Badie . Edition :  La Découverte


jeudi 8 décembre 2011

Frappes militaires sur l’Iran : quels risques et conséquences régionales ?

Frappes militaires sur l’Iran : quels risques et conséquences régionales ?

6DÉC
par Vincent Eiffling pour Chroniques persanes
Bien que le scénario des frappes militaires sur l’Iran n’est jamais été totalement exclu, celui-ci refait régulièrement surface à la une de l’actualité, principalement en fonction d’un agenda diplomatique judicieusement choisi.
Dernier exemple en date, les déclarations de plusieurs responsables israéliens au début de ce mois de novembre qui, à l’instar du président Shimon Peres, estimaient que la solution militaire à la question nucléaire iranienne était dorénavant plus proche que la solution diplomatique. Le choix de ces déclarations, à la veille de la remise par l’AIEA de son dernier rapport sur les activités nucléaires de Téhéran, n’est pas anodin. Il permet de mettre sous pression les grande puissances en charge de la gestion du dossier avec un message sous-entendu mais on ne peut plus clair : soit vous adoptez un rapport suffisamment incriminant justifiant des sanctions susceptibles de faire plier le régime des mollahs et ainsi garantir notre sécurité, soit nous assurerons nous-même cette sécurité par le biais d’une action militaire unilatérale dont les répercussions régionales devront être supportées par tous.
Il n’empêche que si ces déclarations interviennent généralement à un moment politique judicieusement choisi, leur cantonnement actuel à la seule rhétorique n’a rien de définitif, Israël disposant de moyens suffisants que pour frapper les installations nucléaires iraniennes. De même, les Etats-Unis et le Royaume-Uni n’ont également pas pour leur part exclu un possible recours à la force, bien que ce scénario ne puisse intervenir qu’en dernier recours.
Mais la question est ici mal posée. Posséder une capacité militaire suffisante que pour atteindre les installations nucléaires iraniennes en dépit des difficultés et des risques inhérents à une telle opération ne garantit en rien que de telles frappes mettraient un coup d’arrêt définitif au programme nucléaire de Téhéran. La vraie question qu’il convient donc de se poser est la suivante : ces frappes auraient-elles bel et bien la capacité de stopper le programme nucléaire iranien ? Et ici, rien n’est moins sur. De l’aveu même de Robert Gates, une campagne de frappes, même massive, ne permettrait que de retarder l’échéance d’un Iran nucléaire que d’approximativement 3 ans. L’ancien secrétaire d’Etat à la défense est ici rejoint dans son analyse par l’actuel chef d’état-major des forces armées américaines, l’Amiral Mike Mullen, auteur de déclarations similaires.
Aussi, quand bien même Israël et/ou les Etats-Unis et leurs alliés décideraient de se lancer dans l’aventure des frappes militaires contre le régime des Mollahs, quelles pourraient-être les conséquences à l’échelon régionale d’une pareille initiative ?
Tout d’abord nous l’avons dit, l’issue de ces frappes demeurerait incertaine. Détruire les installations nucléaires critiques n’est en rien synonyme d’une annihilation du know-how dans le domaine du nucléaire militaire. De plus, ces frappes justifieraient la rhétorique “anti-américano-sioniste” du régime islamique et renforcerait plus que probablement sa volonté de se doter de l’arme nucléaire tout en lui donnant un argument de poids en vue de légitimer l’acquisition d’un tel armement. A termes, l’acquisition par la république islamique d’une capacité nucléaire militaire serait susceptible de plonger le Moyen-Orient dans une course aux armements dont la dynamique engendrerait instabilité et accroissement du risque de conflit. Comme l’ont démontré les travaux de G. Allison, Professeur à l’université d’Harvard :
Au plus grand est le nombre d’acteur possédant une capacité militaire nucléaire au niveau systémique (ici le Moyen-Orient), au plus grand est le risque d’une mauvaise interprétation des signaux nucléaires de chacun parmi ces acteurs et par conséquent, le risque de frappes préemptives.
Au niveau de la politique intérieure iranienne, il convient de garder à l’esprit que toute provocation se voulant déstabilisatrice en provenance de l’extérieure aura au contraire un effet stabilisateur à l’intérieur. En effet, même si le régime actuel vit depuis le 12 juin 2009 sa plus grande crise de légitimité depuis son avènement, il convient d’éviter les raccourcis simplificateurs. Exemple : un Iranien opposé au régime n’en est pas pour autant un Iranien pro-occidentaux. La vision dichotomique selon laquelle les Iraniens opposés au régime sont forcément favorables à l’Occident est donc à proscrire. De plus, les Iraniens sont très nationalistes et viscéralement hostiles à toute ingérence et intervention étrangère sur leur territoire – cela en raison d’une histoire profondément marquée par la lutte contre l’envahisseur étranger. De ce fait, même si une campagne de frappes aériennes se voudrait destinée à ébranler la république islamique, pareille intervention étrangère serait perçue par une grande partie de la population comme une agression, non pas contre le régime en tant que tel, mais bien contre l’Iran. Autrement dit, si Israël et/ou les Etats-Unis attaque(nt) la république islamique, les Iraniens n’y verront majoritairement qu’une agression contre l’Iran dans sa globalité. Cela aurait pour effet de justifier et de crédibiliser totalement la rhétorique adoptée par le régime au cours de ces 30 dernières années. Loin de déstabiliser la république islamique, une campagne militaire contre les mollahs ressouderait au contraire la population derrière le régime en vue de défendre le territoire national. Cela donnerait également un prétexte aux purs et durs pour resserrer encore plus l’étau autour des réformateurs partisans de l’ouverture. La dynamique ascendante des Pasdarans et la militarisation en cours de l’appareil d’Etat se verraient également renforcées. Le rouleau compresseur de la répression et de la suppression des (quelques) libertés individuelles se verrait gratifié d’un nouveau souffle. En bref, tout comme le fut l’invasion irakienne de 1980, une intervention militaire étrangère renforcerait donc le régime actuel et garantirait sa pérennité en hypothéquant pour de nombreuses années tout changement de régime initié depuis l’intérieur…
En cas de frappes israéliennes, la république islamique a d’ors et déjà prévenu qu’elle frapperait le centre de recherche nucléaire israélien de Dimona à l’aide de missiles balistiques. Bien que les Pasdarans disposent en effet de missiles dont la portée leur permet théoriquement d’atteindre le territoire israélien, rien de garantit que cette tentative puisse être couronnée de succès : le système de protection anti-missile de Tsahal demeure très élaboré et de sérieux doutes persistent quant à la précision des capacités balistiques iraniennes.
-  La première capacité de dissuasion de l’Iran face à Israël s’avère être le Hezbollah. Pour rappel, le Hezbollah fut créé en 1982 par l’Iran, en pleine guerre civile du Liban, par l’intermédiaire de la force Al-Qods, unité en charge des opérations extérieurs des Pasdarans. La proximité graphique entre le logo du Hezbollah et celui des Pasdarans demeure un témoin de cette proximité historique.
Le “deal” actuel entre le Hezbollah et la république islamique est le suivant : Téhéran pourvoit le mouvement libanais en matériel militaire, fournit une assistance à l’entraînement de ses troupes, lui apporte un soutien financier et politique mais en échange, le Hezbollah s’engage à frapper Israël si les forces de Tsahal s’en prennent à la république islamique. Et il faut dire que le soutien du régime des mollahs est pour le moins conséquent : l’apport financier de Téhéran à la milice libanaise se chiffre actuellement à un montant compris entre 100 et 200 millions de dollars par an selon les experts. Sur le plan militaire, l’Iran a fourni au Hezbollah plusieurs dizaines de milliers de roquettes et missiles sol-sol dont certains sont théoriquement capables d’atteindre le coeur du territoire israélien.
A cela viennent s’ajouter les nombreuses roquettes anti-char dont l’efficacité a été prouvée lors du dernier conflit libanais de 2006. Point important, les systèmes d’arme les plus performants livrés par la république islamique ne peuvent en théorie être utilisée qu’avec son approbation, ce qui illustre bien la volonté de Téhéran de se construire une capacité de dissuasion vis-à-vis de l’Etat hébreu au travers des capacités militaires du Hezbollah. Téhéran a d’ailleurs mal digéré que certains de ces systèmes d’arme aient été utilisés sans son accord au cours du conflit de 2006…
Si le Hezbollah doit donc théoriquement constituer la première ligne de riposte en cas d’agression israélienne contre le territoire iranien, on peut cependant se poser la question du caractère automatique de cette riposte à l’heure actuelle.
Aujourd’hui, le Hezbollah est intégré à la vie politique libanaise et la voie politique s’est révélée ces dernières années comme le meilleur canal en vue d’étendre son influence dans le pays. Aussi, bien qu’il demeure un “client” de la république islamique, le mouvement libanais développe de plus en plus en un agenda qui lui est propre et qui ne cadre plus forcément parfaitement avec celui de Téhéran. A termes, si le Hezbollah continue dans cette voie, ses différences avec son créateur pourraient bien se retrouver de plus en plus mise en exergue. Dans ces conditions, le Hezbollah a-t-il toujours intérêt à frapper Israël si ce-dernier s’en prend aux installations nucléaires de Téhéran ? L’incertitude existe et la question se doit d’être posée. Qu’aurait à gagner un Hezbollah intégré politiquement et au sommet de sa popularité à se lancer dans une aventure militaire au profit d’un Etat tiers, aventure qui entraînerait systématiquement des représailles de la part de Tsahal dont les premières victimes seraient les Libanais eux-mêmes ? Si ces derniers incriminent le Hezbollah pour les préjudices subis par une guerre qu’ils estiment ne pas être la leur, le mouvement de Hassan Nasrallah pourrait bien y perdre de sa popularité à domicile. En cas de frappes israéliennes sur l’Iran, le Hezbollah devra donc jauger avec précautions des coûts et des bénéfices qu’impliquerait son entrée dans le conflit. Le calcul politique est donc complexe et risqué, de même qu’il ne peut être prédit à l’avance au regard du flou qui entoure le processus décisionnel au sein même du mouvement libanais. Si la possibilité d’une riposte iranienne au travers du Hezbollah continue donc à représenter un risque pour l’Etat hébreu, on peut cependant se poser la question de l’automaticité d’une telle riposte ou du moins, la question de l’ampleur que prendrait cette riposte.
Le Hamas constitue un autre vecteur éventuel en vue de frapper l’Etat hébreu. Cela dit, ses capacités militaires sont de loin inférieures à celles du Hezbollah. Qui plus est, le mouvement palestinien est en froid avec la république islamique suite aux conséquences du printemps arabes sur le régime de Damas, actuel allié de Téhéran. La république islamique a en effet stoppé son soutien financier au Hamas (estimé à 30 millions de dollars par an) suite au refus de ce dernier de participer aux manifestations en faveur du régime de Bachar al-Assad. Le mouvement palestinien a depuis déplacé son QG de la Syrie à l’Egypte et il doit faire face à des difficultés financières qui ont entraîné un retard de paiement pour les 40 000 fonctionnaires de la bande de Gaza. Dans ces conditions, rien ne laisse présager une participation du Hamas à d’éventuelles représailles contre Israël en cas de frappes de Tsahal contre les installations nucléaires iraniennes. Mais là encore, le risque ne peut être exclu…
Le blocage ou du moins la perturbation du trafic maritime au travers du détroit d’Ormuz – par lequel transite chaque année plus de 40% des importations mondiales de pétrole – est également une autre possibilité de riposte de la part du régime iranien. La marine iranienne se prépare depuis longtemps à cette éventualité et même si ses capacités semblent ridicule au regard de la force navale américaine, sa capacité de nuisance à l’encontre les pétroliers est pour sa part bien réelle. On imagine aisément le chaos qu’engendrerait une marrée noire provoquée par la destruction d’une dizaine de super-pétroliers dans le goulot d’étranglement que constitue le détroit d’Ormuz. Nul doute que les réactions internationales ne se feraient pas attendre, Etats-Unis en tête, dont la 5ème flotte possède ses quartiers à Bahreïn. Il est cependant paradoxal de constater que les Etats-Unis sont beaucoup moins dépendant du pétrole moyen-oriental que la Chine ou encore l’Union européenne. Aussi, est-on en droit de se demander si cette stratégie n’aurait pas pour l’Iran un effet négatif dans la mesure où elle serait susceptible de lui mettre à dos son principal soutien politique et économique qui n’est autre que Pékin. Pareille initiative provoquerait par ailleurs immanquablement une levée de bouclier au sein des pays arabes qui pourraient à leur tour lancer des représailles contre le régime iranien.
Une attaque contre les bases américaines dans le Golfe est également une éventualité quoi que l’ont peut douter des capacités iraniennes de prendre à partie les forces US stationnées dans la péninsule arabique. Sans compter que pareille témérité ne manquerait pas de donner une occasion aux Etats arabes pour plonger dans le conflit qui embraserait alors toute la région.
- Plus surprenantes sont les déclarations du général Amir Ali Hajizadeh, le commandant des forces aériennes des Pasdarans, qui a averti à l’occasion de la journée national du Bassidj que l’Iran s’en prendrait au bouclier anti-missile de l’OTAN stationné en Turquie si la république islamique devait être la cible d’une intervention militaire étrangère. On imagine aisément les répercutions déstabilisatrices qu’engendrerait pareille riposte, plongeant la Turquie – deuxième armée de l’OTAN du point de vue quantitatif – et probablement une bonne partie du Moyen-Orient dans un conflit généralisé. – En dépit de l’image négative de l’Iran auprès de la rue arabe, il ne fait aucun doute que des frappes occidentales contre la république islamique contribueront à ternir encore un peu plus l’image de l’Occident, Etats-Unis en tête, au sein du monde musulman. Plus globalement, c’est la capacité de softpower de Washington auprès du monde musulman qui se verrait encore une fois écorchée. Le rôle des perceptions est ici on ne peut plus important et quand bien même la majorité des Etats arabes soutiendrait l’option militaire, rien ne dit que leurs populations suivront cette opinion. L’usage répété du hardpower américain au cours de la dernière décennie, conjugué avec le sentiment profondément ancré dans l’imaginaire collectif de la rue arabe d’un complot néo-impérialiste anti-musulman et pro-sioniste explique l’impact négatif en terme d’opinion qu’engendreraient des frappes militaires américaines. A noter que l’impact serait le même en cas de frappes israéliennes, même si celles-ci devaient être réellement menées et décidées de manière unilatérale : pour la rue du Moyen-Orient, Israël et Etats-Unis sont pratiquement des synonymes et personne ne croirait à une intervention de Tsahal qui n’aurait pas été orchestrée de plein concert avec Washington. Voilà pourquoi l’intervention unilatérale israélienne constitue un scénario que les Etats-Unis désirent à tout prix éviter.
- Enfin, l’Iran ferait certainement preuve d’une politique étrangère plus agressive et ce particulièrement là où ses intérêts s’opposent à ceux de Washington, à savoir en Irak et en Afghanistan.
Comme nous venons de le voir très brièvement, les conséquences potentielles d’une campagne de frappes aériennes contre le régime des mollahs représentent autant de facteurs de risque à prendre en considération dans le processus décisionnel en vue de déterminer de la pertinence d’une telle campagne ou non. Si cette dernière devait finalement avoir lieu, elle serait le fruit d’une analyse coût-bénéfice limitée dans sa rationalité par les perceptions des acteurs impliquées, et se verrait guidée par leurs préoccupations inhérentes à la sauvegarde de leur intérêt national.
Quoi qu’il en soit, la question nucléaire iranienne n’apparaît plus comme un noeud gordien que seule la force (au travers ici des frappes aériennes) permettrait de trancher. La mise en balance des risques d’un Iran nucléaire face aux risques des frappes préventives met aujourd’hui les puissances occidentales face à un dilemme qui consiste à choisir entre la peste et le choléra.
Vincent Eiffling