dimanche 28 août 2011

L'ETAT FRANCO-AFRICAIN : STRATÉGIE ET INTELLIGENCE POLITIQUE


La crise du temps français en Afrique francophone
 
Patrice PASSY
 Conseil en Intelligence stratégique et communication d'influence
 
 

Depuis la fin de la guerre froide, lentement et progressivement s'est installée une crise dans l'Etat franco africain. Cette crise de plus en plus profonde et manifeste se ressent tant au niveau des exécutifs africains, qu'au niveau des peuples d'Afrique francophone. Cette crise s’appelle : la crise du temps français dans sa zone de confort économique.






Qu'est ce que  l'Etat franco-africain ?

        L’État franco-africain dans la communauté d’intérêts entre la France et les pays de sa zone d’influence est une réalité d’illustrée par cette forme d’organisation historique, post coloniale, politique, juridique à la fois « invisible » et diplomatiquement contraignante qui oriente, décide, et contrôle de manière de moins en moins directe l’Agir politique et économique africain. Un « Etat à la fois invisible et visible » qui se trouve au cœur des systèmes avec lesquels les exécutifs français et les relais locaux interagissent pour exploiter et perdurer. Cet Etat s’appelle, l’Etat franco-africain. L’Etat franco-africain est donc un cadre d’exercice de l’autorité française, une zone d’expression de son influence et une entité géographique dans laquelle s’exerce son rayonnement culturel.
     Cet Etat dispose d'une armée de soumis (les Etats d’Afrique francophone) avec quelques éléments insoumis (qu'on appelle en Afrique des patriotes) depuis la fin des années 90. Ils se disputent en bonne intelligence, les ressources stratégiques avec des partenaires qui selon les circonstances se muent en concurrents (l’Union Européenne, les USA, et les pays du BRIC).
     La principale curiosité de l’ « État franco-africain » réside dans l’absence d’outils et de méthode de management de cet espace géographique, économique, démographique. Sa principale lacune réside dans l’absence de culture stratégique et de démocratique.

    La crise est la conséquence d'un tissu d’évènements politiques dans l’ensemble de la zone franc. Cette crise se caractérise par un paroxysme des souffrances, des contradictions ou des incertitudes, qui sont entrain de produire des explosions de désobéissance, de violence avec des débuts de révolte et de résistance. Cette crise du temps français est donc, pour la première fois, dans l’histoire de l’Etat franco-africain : une rupture des équilibres instables post coloniaux.

         Aux origines de la crise

La crise du temps français en Afrique est le résultat d'une gestion malhabile des mutations annoncées par l’évolution du monde depuis 1960 à 2011. Je ne parle pas de la crise de la présence française qui dans le contexte africain présent, devient l’aboutissement de violentes batailles dont le bruit des missiles et des bottes aujourd'hui, augure le calvaire des peuples africains demain. Le tissu d'incompétences dans la gestion de son pré-carré se traduit aujourd'hui, malgré les apparences ou les succès tardifs, par le fait que le temps français est en crise en Afrique francophone. 
Cette crise reflète l'inadéquation manifeste entre l'offre française de développement économique et la demande africaine de développement intégrale et diversifié. La nouveauté en ce 21e siècle est qu’elle va signifier et donner pour la première fois à l’élite africaine la possibilité de choisir, de décider et de juger. Sauf que par tradition, cette élite est toujours absente dans l'Afrique des idées novatrices en vue d'apporter aux politiques les outils conceptuels, méthodologiques et la démarche utile à leur action sur le terrain. Car, l’étendue et la profondeur de cette crise est préoccupantes comme les exemples  ivoiriens, tunisiens, égyptiens et libyens  l’ont démontré, elle est le prélude à des bouleversements, c'est-à-dire à un emballement des ruptures dans l’« l'Etat franco-africain».

La crise est née de la myopie stratégique française dans sa zone de confort. En Afrique francophone, la domination française a été caractérisée par sa capacité à imposer sa volonté aux dictateurs (éclairés ou sanguinaires) qu’elle a judicieusement ou parfois maladroitement placée pour protéger au mieux ses intérêts. Pendant plusieurs décennies, sans stratégie clairement définie, et assumée, la France a manqué de réactivité face aux stratégies d’influence et de positionnement des nouvelles puissances, rendues possibles par son affaiblissement et ses difficultés à maintenir son périmètre de puissance. Je note que  l’immobilisme français durant 50 ans a empêché en Afrique francophone le passage  à la fin des années 80, d’une logique de puissance postcoloniale à la logique d'offre économique pour un développement durable du pré-carré. 
 
La France est restée cramponnée à la préservation de ses intérêts et au maintien coûte que coûte de ses positions géostratégiques. Cet immobilisme installe donc la France dans une surenchère de compromis avec les « amis de la France ». Cette stratégie de la gestion des complexités par à coups va se révéler au fil des années et face à la concurrence de la BRIC, comme une lourde erreur  politique, qui va jouer contre les intérêts économiques français, dans un contexte exacerbé de guerre économique.
Quand je parle d’erreur politique, il s’agit principalement :
·          D’une gestion malhabile du périmètre stratégique français qui se traduit par une dégradation continue de son image (droits de l’homme et soutien aux dictateurs par exemple), de ses symboles, de ses valeurs et de son espace d’hégémonie.
·        D’une confusion identitaire, faute d’une stratégie de positionnement et de communication due à l’impréparation, à des tactiques surannées, aux réseaux politico-maffieux, à des solutions politiques impréparées et quelques fois contradictoires pour terminer inefficaces. 
 
En Afrique francophone, la fin de la guerre froide n’offre plus à la France le cadre d’affrontement géostratégique des années 50 à 80. Cependant, faute de nouvelle doctrine, la redéfinition de sa puissance n’a pas pour autant été réécrite, malgré l’élargissement du champ des possibles que la géopolitique, la géo-économie mondiale impose et propose à la zone franc. Le statu quo a prédominé dans toutes les solutions politiques et des mesurettes économiques ont été proposées plus par obligation politique que par stratégie économique. L’espace de manœuvre français s’est réduit dès les années 90, alors même que la survie du pré carré et des régimes placés rend complexe le maintien de la France, comme alternative économique crédible, dans l’espace de survie des pays africains.
 
Dans ce contexte, les peuples et les vrais patriotes se sont posés la question suivante : quel type de développement choisir pour les futurs africains : made in France, made in chine, made in USA, made in Inde, ou made in Afrique ?     
  
La réponse pour de nombreux lecteurs est naturellement « made in Afrique »

Mais les intérêts français répondent : « impossible »… renforçant du coup, les mécanismes de contrôles des matières premières, des exécutifs africains, de protection de l’espace économique français et des ressources stratégiques. 
Sauf que la France a perdu de vue un détail très invalidant pour son influence : elle n’a plus les moyens militaires de projection et de stationnement, ni les moyens financiers. Dans l’Europe des 27, elle est consciente que les intérêts divergents des autres pays européens, ne sont toujours pas faciles à aligner automatiquement sur les intérêts français en Afrique francophone.
 
         La crise du temps français risque d’être la sentence des peuples
 
La crise du temps français en Afrique francophone dénote aussi  la crucialité d’une relation inégale, qui est en jugement en 2011, dans la plupart des palais présidentiels francophones. Nous savons que celui qui gouverne avec le peuple construit avec la boue. Mais dans ce processus transitoire, la sentence du peuple à quelque chose de déterminant, elle pourrait changer le cours des choses. Car, le peuple africain est descendu plusieurs fois dans la rue pour dire non à la France et à ses combines d’un autre âge, nous en avons eu la preuve au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Rwanda, au Sénégal, à Madagascar, en Tunisie.
 
Les choses changent, « l’armée de soumis »  pense et fait savoir à la France, qu’un autre monde est possible. C’est la preuve que le désaccord est de plus en plus profond entre les parties sur les notions d’intérêts des Etats africains. Ce désaccord incline à la contestation des intérêts français et par extension, des ses privilèges exorbitants en Afrique francophone. Dans l’ambiance feutrée des palais présidentiels en Afrique francophone, l’obéissance active a remplacé l’obéissance passive, excepté quelques « fidèles », elle se traduit par la contestation de plus en plus récurrente de la légitimité historique de la France et surtout, de son modèle économique.
 
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Patrice PASSY 
patrice.passy@gmail.com