jeudi 31 janvier 2013


INTELLIGENCE INTERCULTURELLE EN AFRIQUE FRANCOPHONE


Est-il préférable d'expatrier, de détacher ses propres salariés, ou de recruter au plan local en Afrique francophone ?
 

Par Patrice PASSY
Formateur en gestion des problématiques Interculturelles (ISEAM - DGC)
La stratégie de développement à l'international des entreprises françaises, qu'elle soit motivée par la volonté de conquête de nouveaux marchés dans la zone franc [1], ou la recherche d'économies sur les coûts de production, s'accompagne toujours d'interrogations autour de la mobilité des salariés : est-il préférable d'expatrier, de détacher ses propres salariés, ou de recruter au plan local ?
 
Car le choix d'envoyer un salarié à l'étranger n'est pas neutre ! C'est une décision qui touche à la fois l'entreprise, le salarié et sa famille, et dont les conséquences s'étendent bien au-delà des aspects pratiques liés à un "simple" transfert de son lieu de travail.
 
La mise en place d'une politique interne volontariste de mobilité internationale sera bien évidemment guidée en premier lieu par les opportunités de marché de l'entreprise, sa capacité d'investissement, sa culture et ses intérêts à moyen et long terme à l'étranger.
 
Au plan strictement RH, c'est le nombre de salariés potentiellement concernés, à court terme, par une expatriation à l'étranger, qui délenchera la décision de mettre en oeuvre une procédure de mobilité internationale voire une stratégie d'envergure.
 
Mais, pour mettre en place des mesures opportunes, il faut maîtriser tous les enjeux de la mobilité internationale, en sachant se poser, au préalable et pour chaque pays concerné, les bonnes questions : 
  • Comment évoluera la relation de travail pendant la mission à l'étranger ?
  • Quelle sera l'organisation du travail et son contrôle, selon quelles règles ?
  • Quelle sera la couverture sociale du salarié et éventuellement de sa famille ?
  • Selon quelles règles sera déterminée la résidence fiscale du salarié ? 
  • Quel sera l'impact sur son niveau d’impôt ?
C'est en apportant des réponses précises à ces différentes questions qu'il sera possible d'établir les avenants aux contrats les plus sécurisants pour chacune des parties.
 
La réalisation de "fiches pays" précisant l'ensemble des procédures et modalités pratiques d'expatriation, et tenant compte de tous les enjeux fiscaux et sociaux dans chaque pays, pourra venir outiller judicieusement le service RH.
De la même manière, accueillir un salarié français n'est pas plus simple puisque cela suppose de se demander :
  • Quel est le type de titre de séjour adapté à la situation, compte tenu de la complexité des formalités d'immigration dans les pays d'Afrique francophone ?
  • Quel est le statut à privilégier entre le détachement et l'expatriation, à la fois en droit du travail et en protection sociale, en fonction des contraintes des parties et des réalités de la situation ? 
  • Certaines dispositions de la loi françaises sont-elles applicables ?
L'objectif des différentes formations inter et intra-entreprises que nous proposons en management des diversités franco-africains est de donner les clefs de compréhension des mécanismes inhérents à la mobilité internationale : se poser les bonnes questions, au bon moment, et y apporter des réponses expertes, actualisées et personnalisées.
 
L'intérêt est double : 
  • anticiper au mieux les revendications des salariés et les contentieux,
  • inscrire la mobilité internationale dans la logique de développement de l'entreprise et dans une véritable politique de gestion des compétences et des carrières.
Le poids des entreprises françaises en Afrique 
 
Il est souvent accepté ou contesté que la France a besoin de l’Afrique, à tout le moins, elle y a beaucoup d’intérêts via nombre de ses grandes entreprises.
L’on peut bien le mesurer avec une présence significative de Chambres de Commerce et d’Industrie Française à l’étranger (CCIFE). Il y en a dans 7 pays différents. « Fondée en 1907, l'UCCIFE [Union des Chambres de Commerce et d’Industrie Française à l’Étranger] regroupe 107 Chambres de Commerce et d'Industrie françaises à l'Etranger (CCIFE) qui constituent le premier réseau privé d'entreprises Françaises dans le Monde, représenté dans 77 pays et réunissant 28.000 entreprises, dont 50% d'entreprises étrangères. ». Sur la centaine de CCIFE que l’on recense dans le monde, il y en a 20 en Afrique. De plus, sur les 25 385 membres (uniquement 18 000 entreprises) de ces CCIFE, il y a 8246 sur ce continent. C’est plus que partout ailleurs, comme en témoigne le tableau ci-bas.

le Franco-Béninois Lionel Zinsou, Président de PAI PARTENERS indique, que l'Afrique est le seul continent où la France réalisait un excédent commercial. Il invitait par ailleurs à ne pas confondre la montée en puissance actuelle de la Chine qui est indiscutable à la réelle importance des intérêts occidentaux en Afrique. En effet, à cause ou grâce à leur ancienneté, les stocks de capital [mines, pétrole, produits agricoles, immobilier, etc.] dont ils sont propriétaires sont de loin supérieurs à ceux des Chinois. La France n’y échappe pas.
De plus, le Conseil français des Investisseurs en Afrique (CIAN), qui compte 100 sociétés adhérentes nous aide à évaluer le poids de ces entreprises françaises en Afrique. Ces 100 sociétés adhérentes, ont 80 000 collaborateurs sur le continent et produisent un chiffre d’affaires de 40 milliards d’euros, ce qui serait « seulement » l’équivalent des ¾ du chiffre d’affaires des entreprises françaises sur le continent. Sur les 54 pays africains, les membres du CIAN sont présents de façon permanente dans 49 (plus de 1000 établissements). À chacun de voir si la France n’a pas besoin de l’Afrique sur le plan économique.
 
Les entreprises françaises représentent l'essentiel de l'activité économique du secteur formel en Zone franc.
Les pays africains de la Zone franc représentent une destination d'implantation importante en Afrique pour les entreprises françaises




[1] Afrique de l’Ouest
Pour la zone UEMOA (Union économique et monétaire de l’Ouest Africain) : 7 pays (Bénin, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo) avec une devise commune (Franc CFA lié directement à l’euro), un système comptable et fiscal commun (OHADA) et des experts-comptables habilités à travailler dans les autres pays de la sous-région.


Afrique Centrale
Pour la zone CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale) : 5 pays (Congo, 
Gabon, Guinée-Equatoriale, République Centrafricaine et Tchad) avec une devise commune (franc CFA lié directement à l’euro), un système comptable et fiscal commun (OHADA) et des experts-comptables habilités à travailler dans les autres pays de la sous-région.



dimanche 20 janvier 2013

DIRIGEANTS AFRICAINS: COMMENT ON ORGANISE UNE CRISE OU FABRIQUE UNE ÉVIDENCE CONTRE VOUS ?

                                                            
     
Commençons par nous poser quelques questions sur le management de la perception.
  1. Quelles sont les évidences portées à notre connaissance qui justifient un conflit, génèrent une crise, brisent des liens ou enferment dans un cycle de domination ?
  2. Quels sont les éléments qui précèdent, déterminent, participent au passage à l’acte dans les situations conflictuelles ?
  3. Pourquoi est-il si difficile de trouver une explication crédible, scientifique à la sortie d’une situation conflictuelle en Afrique francophone ?
  4. Quelle évaluation fait-on des risques correspond à l'estimation de la probabilité d'apparition d'effets nuisibles dans l’analyse des signaux faibles ?
Qu'est ce que la gestion de la perception ?

     La gestion de la perception englobe tous les actes posés pour influencer les attitudes et le raisonnement objectif des opinions étrangères et se compose des éléments suivants : 
  • diplomatie publique, 
  • opérations psychologiques (PSYOPS), 
  • information publique, tromperies et opérations voilées. 
Dans le cas de l'Opération Liberté pour l'Irak, la gestion de la perception a eu notamment recours à la diplomatie publique, dans une tentative délibérée de persuader les opinions étrangères du contenu et de la sagesse de politiques, intentions et actions, et aux PSYOPS, c'est-à-dire l'usage d'activités, les médias principalement pour influencer et persuader des opinions étrangères... http://www.nato.int/docu/review/2003/issue2/french/art4.html 

    J. Piaget définit la perception comme « la connaissance que nous prenons des objets, ou de leurs mouvements, par contact direct et actuel.» La perception dépend, elle-même, de chaque construit de l’individu : ses expériences, son éducation, ses croyances, ses valeurs, ses relations sociales, professionnelles, son rapport au travail… C’est le processus par lequel un individu organise et interprète ses sensations, sur la base de son expérience, de son éducation, de sa culture de façon à donner un sens à son environnement. Il s’agit dès lors d’une interprétation subjective et sélective de la réalité. C’est donc en prenant connaissance des événements  de son environnement que l’individu se les approprie pour en faire ses réalités, ici et maintenant, et dans le même temps, pour les projeter aux yeux des autres. De plus, les interactions, entre les individus, entre l’individu et l’organisation, entre les organisations, nées de la confrontation des réalités de chacun, contribuent elles-mêmes à façonner ces réalités.

Comment fabrique t-on vos évidences en Afrique francophone ?
Pour fabriquer vos évidences, nous utilisons une démarche méthodologique: 
Le management de la perception. 

Il s’appuie sur une gamme étendue d’outils psychologiques et de communications adaptés à l’usage particulier d’une opération d’influence.
  1. Le management de la perception est un des éléments de la guerre des sens, ou de la guerre psychologique. Elle s’appuie sur l’environnement physique et psychologique de la cible pour jouer sur les perceptions afin d’induire la cible en erreur, ainsi que les spectateurs d’un évènement.
  2. C’est une stratégie qui intègre une démarche plus globale de stratégie politique, commerciale et/ou économique 
  3. C’est une opération focalisée sur une cible précise et définie dans le temps.
  4. Cette opération se nourrit des vulnérabilités de la cible, des faiblesses relevées dans la maîtrise de son écosystème politique, économique, commerciale, stratégique…
  5. Elle se déroule par rendez-vous sur objectifs, s’étale dans le temps ou de manière opportuniste rebondie sur un dysfonctionnement qui peut être fatale au concurrent, adversaire, ou allié/concurrent.
Les opérations psychologiques

Ce sont des techniques utiliser pour influencer: 
  • les systèmes de valeurs, 
  • les systèmes de croyances, 
  • les émotions, 
  • les motivations, 
  • le raisonnement, 
  • et le comportement l’audience cible, que ce soit un individu, une groupe, une direction ou une entité groupale. 

Ces techniques sont utilisées pour induire une confusion, le renforcement d’attitudes ou de comportements favorables aux objectifs du client ou de l’initiateur des opérations psychologiques.
Application pratique.

Exemple:
  • Grâce au management de la perception, le dénigrement par exemple, d'un adversaire politique, d'un concurrent commercial devient suranné. Car une manœuvre de désinformation ou d’intoxication d’un adversaire, d’un concurrent par une campagne de dénigrement expose ses initiateurs à un risque judiciaire pour diffusion de fausses informations, à une détérioration de l’image et à l’effet boomerang d’actions offensives mal maîtrisées. En 2014, nous constatons que des décideurs politiques, les acteurs politiques, les ambitieux entrepreneurs africains se familiarisent avec cette approche sophistiquée aux allures inoffensives, indolore et bien souvent incolore.  
    Le "perception management" s’impose presque imperceptiblement par sa discrétion, puisqu’il s’insère dans un cadre de références cognitives. 

En cas de "nécessité", ensemble nous accompagnons nos clients à  principalement tirer parti des vulnérabilités de leur concurrent, ou adversaire. Les failles principales sont les suivantes dans votre système d'intérêt ou de défense: 
  • manque de connaissances, 
  • manque de culture stratégique, de connaissances des codes, us et coutumes locaux, du marché, 
  • mauvaise évaluation des risques,
  • mauvaise stratégie de positionnement et de communication de crise
  • gestion malhabille des complexités d'une situation
  • manque de leadership
  • non prise en compte des signaux faibles, etc...
Résultat attendu du management de la perception 
  • Agir sur les perceptions d’une cible (individu-groupe-communauté, marché…) afin obtenir des actions (soutien - adhésion - consommation  - résistances) favorables aux objectifs de l’émetteur. Découverte depuis peu par les acteurs politiques puis économique en Afrique francophone, le perception management devient une réalité suffisante et une tendance lourde en Afrique francophone. 
    Il combine donc les méthodes complexes de la psychologie et du marketing pour conforter une logique d’intérêts privés et politiques … 

Objectifs de la gestion de la perception
   
La gestion de la perception (perception management) est une stratégie de contrôle ou de « prise de possession » qui a pour objectif de réguler et d’influencer les processus d’interprétations, de conclusions  et de décision d’un groupe, d’une ethnie, d’une communauté, d’un électorat , d'une opinion ou d’une personne. 

    Diriger et orienter la perception et la conscience d’un évènement (de la réalité ou du principe de réalité) est un élément clef dans la manipulation de la réalité ou des conséquences perçues d’une situation. C’est donc un ensemble d’actions destiné à modifier la perception d’un individu/d’une entité/d'un électorat dans le but de lui faire accepter et/ou réfuter des informations extérieures afin d’obtenir des actions - de la part de l’individu et/ou de l’entité - favorables aux objectifs définis par les opérateurs. 

     Mode opératoire (démarche simplifiée)

Objectif professionnel
  • Susciter une perception particulière chez un individu de façon à ce qu’il pense ou agisse dans un sens favorable pour le maître des lieux.
  • Est maître des lieux, celui qui les organise. L’objectif est de provoquer l’émergence d’une idée ou d’une action en agissant sur les cinq sens d’un individu, qui sont à la fois les cibles et les leviers d’influence. Éric Valin expert en Intelligence économique…La gestion habile du secret est nécessaire à la totale discrétion de ou des opérations qui reste un des gages de succès.
  • Pour fabriquer une évidence au cours d'une mission,  on peut faire appel à des techniques offensives légales  (exemple : les armes de destruction massive irakienne avec le discours de Colin Powel à l'ONU, la bombe atomique iranienne, Benyamin Netanyahu, lors de son discours devant l'assemblée générale de l'ONU à New York, le 27 septembre, etc…)
Cette stratégie de la persuasion par la perception, s’exécute par petites touches, par insinuation.  

Comment procéder concrètement ?

Pour faire "avaler" « les évidences commerciales » ou une « crise politique en cours de fabrication», l’expert va s’appuyer sur les failles psychologiques (dont la psychopathologie, les biais, les schémas, etc.) d’un individu pour induire en erreur ce dernier afin de limiter sa capacité décisionnelle. Le cerveau intègre des failles, des erreurs de perception, et des schémas cognitifs plus ou moins fiables. 

Les outils

L’objectif visé est de remporter l’adhésion de la cible. 
Ces outils s’exécutent de manière modulaire ou modulable selon le besoin ou la demande du client

Le lobbying : 

Le lobbying n’est pas spécialement un sujet apprécié du grand public, car il est souvent associé aux intérêts des entreprises et non ceux des particuliers. Le lobbying est une thématique qui intéresse majoritairement les entreprises de type multinationale. En effet, dans le cadre de leur évolution, elles sont amenées à prendre différentes décisions plus ou moins compréhensibles par le grand public et par les salariés eux-mêmes. 

Il est alors nécessaire de développer une stratégie de communication très spécifique qui puisse d’une part être correctement perçue par les actionnaires, d’autre part par les collaborateurs, ou encore le grand public composé en partie de consommateurs. Afin de développer ce genre de communication institutionnelle, il est nécessaire d’avoir des experts et surtout des partenariats avec des entités influentes comme les médias, les entreprises déjà bien implantées, ou autres. 

En l’occurrence, dans les stratégies, il peut être bon d’avoir des partenariats avec des journalistes, qui exercent une véritable influence sur des millions de personnes.

Le storytelling (transporter les gens dans l’imaginaire en racontant une  histoire qui peut devenir mythe, et leur faire accepter par ce biais les  objectifs de l’entreprise).  

La mercatique: c'est un ensemble de méthodes et de techniques, utilisées par une organisation (entreprise, administration, association) pour comprendre, influencer et contrôler les conditions de l’échange. 

Son but principal est d'anticiper et/ou d’influencer les besoins et les demandes des consommateurs. En fonction de ces besoins précis et pour satisfaire les consommateurs, la mercatique doit adapter ses produits, ses méthodes et sa politique commerciale.

La mercatique s’appuie sur plusieurs éléments:
le consommateur : le consommateur est au centre des préoccupations de la mercatique.
• la psychologie: par exemple, lors de l’entretien d’achat-vente, le vendeur  doit être capable de déterminer les motivations et les freins à l’achat du consommateur.
la sociologie: comprendre et influencer grâce à une connaissance fine du comportement des individus et des groupes dans les sociétés cibles importateurs du produit.
l’informatique: les informations recueillies peuvent être stockées efficacement sur des supports numériques. L’informatique permet également d’obtenir des informations grâce aux réseaux intranet et Internet. Il permet, grâce à des logiciels, de faciliter le travail des mercaticiens, notamment au travers des logiciels de base de données, de dépouillement ... 

Le mentaliste : Manipuler par la loi de l’intérêt

Ce principe est basé sur un mécanisme simple : l’être humain est incapable de traduire avec précision l’intégralité des stimuli qu’il reçoit, que ceux-ci soient visuels, tactiles ou auditifs. 
En mentalisme on appelle ça, la loi du mouvement premier, c’est-à-dire une action secrète doit toujours être dissimulée par une action préalablement plus ample. En effet, le cerveau n’analyse jamais les actions séparément une par une, mais capture l’ensemble. A l'heure actuelle, les mentalistes travaillent en collaboration avec des entreprises, des dirigeants des programmes de formation et de recrutement.

Le leadership: on peut définir le leadership comme étant une autorité d’influence, basée les relations que le leader noue avec les membres d’un groupe. Être un leader est une reconnaissance, et non un statut. 
Le leadership c’est: la capacité d’une personne à influencer et à fédérer un groupe
  • Pour atteindre un but commun
  • Dans une relation de confiance mutuelle
  • Et pour une durée limitée
Patrice PASSY
Directeur associé

dimanche 6 janvier 2013

AFRIQUE FRANCOPHONE ET LA COLONISATION : LE TEMPS DES VICTIMES


INTELLIGENCE DES CRISES ET VICTIMOLOGIE

AFRIQUE FRANCOPHONE ET LA  COLONISATION : 
LE TEMPS DES VICTIMES


Par Patrice PASSY
Conseil en Intelligence Economique


Définition d'une victime
 
A propos de la définition d’une victime la résolution 40/34 du 11 décembre 1985 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, portant Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir : "…entend par victimes [de la criminalité] des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omission qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir…."
On entend par victimes [d’abus de pouvoir] des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi des préjudices,… en raison d’actes ou d’omission qui ne constituent pas encore une violation de la législation pénale nationale, mais qui représentent des violations des normes internationalement reconnues en matière de droits de l’homme… ».


Qu’est-ce qu’une victime de la colonisation française en Afrique ? 

    C’est tout Royaume puis État d’Afrique francophone qui souffre d’un préjudice financier, matériel, physique, psychique suite à un démembrement de ses systèmes d’autorité, de pouvoir et de gestion traditionnelle ayant pour conséquence la déstructuration des systèmes sociaux, culturels ou moraux du fait d’agissements malveillants, des stratégies de prédation économique mise en place par la puissance coloniale. 
    Une victime de la colonisation française est donc une entité qui a subi une succession de dépossessions structurelle, organisationnelle, fonctionnelle et économique coordonnées préjudiciables à son développement harmonieux. Nous savons tous qu’une situation intense, choquante, et indicible déborde souvent les défenses d’un individu, d’une communauté humaine qui n’arrive plus à faire sens, avec pour conséquence la désorganisation de l’histoire, de la personnalité, du sujet ou du groupe communautaire. 
   La « rupture de la chaîne signifiante » comme le disent les victimologues du fait de l’esclavage, la colonisation, la décolonisation et le système de dépendance intégrale post colonial a dépersonnalisé et déréalisé l’homme africain francophone. 

De quoi je parle en 2013 ? 

Je parle du « meurtre  africains » c’est à dire de quelque chose dont on nie en France l’existence même à savoir : que l’État colonial était et demeure  un meurtrier qui a semé et dans sa nouvelle version continue à semer la mort, la corruption, la désolation. C'est là le problème des intérêts français, qui en pérennisant sa zone de confort stratégique est toujours un meurtre en puissance, sinon actuel. 

Le « crime colonial des Afriques »


Le « crime colonial des Afriques » est inséparable du « meurtre africains ». En Afrique francophone, les meurtres n’ont pas seulement été commis par des bandits politiques : il y a des « meurtres économiques » organisés sur une vaste échelle par les intérêts français, par l’État colonial, par des «hommes de paille de l’État post-colonial» déjà au pouvoir ou qui viennent seulement d’être placés à la tête des États. Chose curieuse en 2013, devant tous ces meurtres, l'horreur de la « mort africaine » se montre émoussée ou même absente de l’histoire française, alors que cette horreur devrait être doublement intense, puisqu'il s'agit de la mort des vies humaines, des espérances, des avenirs, des futurs africains, des développements. Dans ce « meurtre des Afriques », il y a une absence, celle de la peine de mort. Il y a donc eu absence d’études d’impacts de la colonisation sur l’état des « Républiques sœurs d’Afrique », d’enquêtes nationales sur les liens de causalités entre hier et aujourd’hui, de justice, donc absence de réparation et de dommages et intérêts. 

Tout ordre nouveau est bâti sur l’homicide 

Sans peine de mort, la « rupture de la chaîne historique » n’a jamais été considérée par le colon comme un meurtre. Pour dominer, maintenir sa domination, réaliser les travaux forcés, modifier le cours de l’histoire, il a fallu en pays colonial tuer, tout tuer pour vaincre ses propres peurs d’esclave du développement économique. Celui qui veut dominer est toujours obligé de tuer, et comme la puissance coloniale vit dans une crainte perpétuelle d’être déclassée dans le rang mondial, elle ne peut faire autrement que de tuer. La peur de perdre la lutte dans la suprématie mondiale contre les anglo-saxons, a obligé l’État colonial a semé les retards là où elle était en charge de mettre en valeur les ressources. La peur de son retard face aux anglais, a obligé la « puissance tutélaire » à structurer et organiser le retard des peuples sous sa domination.  Être maître des lieux, celui qui les organise, en illustration, l’éducation, la religion, les sciences occultes, le droit, la zone franc, la francophonie, les grandes messes franco-africaines, le formatage mental, psychologique, et culturel, la culture, l’image et autres sont à l’évidence, les piliers de cette organisation française pour la France. Le dire ne veut dire qu'on est contre la France, mais qu'on s'inscrit dans une démarche d'un droit d'inventaire.

Tout ordre nouveau est bâti sur l’homicide. Cela est d’autant plus vrai que rétrospectivement, le fait colonial a représenté la volonté précise du colon de briser la continuité ontologique, par une intelligente interruption de la continuité existentielle propre des africains. Le système colonial en disposant de la vie des africains s’est définie comme la mesure de toute chose. L’œuvre de civilisation française offre encore à ce jour le spectacle et les conséquences d’une volonté démesurée qui a révélée les facettes d’une expropriation et d’une corruption des existences sans opposition. Pour exister contre les africains, les intérêts français ont créé un ordre nouveau puis disposé d’un espace français en Afrique francophone. 

La zone d’influence française en Afrique francophone



La zone d’influence française en Afrique francophone, un espace économique dédié aux intérêts multiformes et transversaux. La mise en place de cet espace s’est fait dans la violence (conquête militaire des territoires, tracé des frontières sur des bases plus qu’approximatives, imposition de la domination françaises, définition d’un nouveau système de pouvoirs, nouvelle organisation et administration etc…) une violence qui a trahi la volonté du pouvoir absolu de tout ordonner dans un sens que seule la puissance régnante devait et pouvait maîtriser. 

Pour être et durer, il fallait prévoir, expliciter, disposer de relais locaux pour démontrer l’utilité du « meurtre africains » car, cette conquête était bien consciente, du fait qu’elle brisait l’harmonie africaine et détruisait la beauté tant visible qu’invisible de ces royaumes. Cette violence s’inscrivait dans une stratégie de nuisance à long terme des équilibres, des ordres qui garantissaient l’intégralité des cohésions africaines. Cet ordre nouveau a donc assigné l’africain au néant, un néant vécu comme un vide subséquent à une réactivité altérée, saisi comme rupture historique. 

Comme un refus français de l’altérité des royaumes conquis et aussi comme une expulsion culturelle des « incultures africaines ». Une expropriation de ses richesses, de toutes les richesses des peuples et royaumes africains. Cette violence destructrice a ainsi marqué le blocage irrévocable de la continuité ontologique qu’aucune repentance, ni dédommagement ne saurait ni remplacer, ni compenser. En effet, les conquêtes coloniales ont été l’apogée d’une affirmation du moi français sur le « non moi africain ». Sous ce rapport, le colon rendait hommage à la liberté qu’il a su gagner dans sa lutte pour la maîtrise des éléments naturels. 
 
La mission civilisatrice 
 
Les grands sorciers, les griots et les rois des royaumes africains n’ayant pas rencontré le même succès dans cette lutte, les têtes bien pensantes des siècles des lumières, ont pensé pour les, africains, c’est à dire comme le dit Nelson Mandela, contre eux. Il fallait apporter la « lumière » dans ces contrées « noires » de peau, de cœur, d’esprit. Élever ces esprits bas vers les hauteurs de la connaissance occidentale du monde, de la culture française, de la philosophie, du beau. Cette fameuse mission civilisatrice n’avait pour vraie mission que de réaliser le propre rayonnement du pays des droits de l’homme, dans sa lutte d’influence mondiale contre les anglais. 

Cet acte destructeur n’est pour les français que l’expression d’une création : celle voulue par la nature des intérêts français. Ainsi la colonisation est à la base une destruction irréparable, le symbole le plus flagrant de la déstabilisation de la réalité de l’africain, et de la décomposition de son unité.
 
Nous n’avons pas la paix ni au dedans, ni au dehors… Martin Luther King 

Les africains ayant accepté la mort de leur Beauté tant visible, qu’invisible en laissant aux « Gens venus d’ailleurs » la faculté de nuire à l’équilibre qui garantissait l’intégralité leur être. Les afro-français à force d’avoir honte d’eux, les antillais à force de déni historique, tous ont « accepté » que l’Autre puisse limiter, l’illimité africain. 
 
Prendre possession et dominer, signifiait et continue à signifier, le triomphe de la conscience du meurtrier sur celle de la victime. Cette conscience aigüe de sa supériorité a ordonné les homicides français en terre conquise africaine, elle a garanti le statut quo du nouveau réel, tel que le meurtrier l’a voulu et présenté aux français, aux africains et au monde. 

Un réel sans meurtre, une expropriation sans qualification juridique, une douleur sans victime, car la colonisation ne doit être perçue que, comme l’histoire économique d’une puissance en quête de suprématie. Elle s’est tout naturellement accaparée du réel africain, de la vision africaine du monde, confisquée ses intérieurs, les condamnant ainsi à la plus passive des passivités. En témoigne la désertification en progression continue d’une alternative radicale au pathétique africain, l’absence d’une pensée authentique, la mollesse des engagements face à la complexification croissante du monde et aux agressions des temps modernes. 
Le « Meurtre Africains » s’interprète donc à ce jour comme l’acte fondateur, et constitutif de l’histoire et des rapports franco-africains depuis 1830. Il se situe à la rencontre du choix français qui a été de prendre possession des terres, d’imposer sa culture, sa langue et sa religion par le sacrifice de « la vie » des propriétaires des lieux. Cette prise de possession de la France sur les terres africaines symbolise encore le privilège de la force de ses idées, du génie français, de sa force militaire, des effets pervers et indirects sur le « moi africain ». La France a ainsi développé et mise en exergue sa capacité à modifier le cours des Histoires pour les effacer de son histoire, pire de l'histoire africaine, c’est à dire la réduction au silence quasi permanent de l’homo africanus. Précisons tout de même Homo-africanus en tant qu’existence historique. 

La folklorisation des souffrances des victimes du « meurtre africains ».

Cette victoire française sur leurs terres a immédiatement été suivie de conséquences. 


Il y a eu, en effet comme résultats : 

la suppression de nos mots, générateur de maux pour notre avenir, 
puis l’effacement de nos paroles, donc de nos identités avec pour corollaire la folklorisation de nos souffrances. 

Cette folklorisation s'est traduite par un rejet : le rejet de leur entité, une atteinte au devenir de leur être. En d’autres termes, la perte du sens et des actions. 
A toujours parler des excès de fièvre (pauvreté, guerre, dette, sous-développement…) dont souffre mon continent on en vient à oublier le virus et surtout le laborantin malveillant qui volontairement l’a inoculé : la colonisation française. 
         
Cet acte destructeur se veut être un geste éternisant le rapport médecin-malade. La France a organisé chez les Etats africains le besoin de France. A force de perpétuer les infériorisations qui ont desséchées la pensée structurante, interdites l’utopie, tout a été volontairement mis en place pour priver l’africain d’une définition autonome du monde. Le résultat est sans équivoque. Sans vision africaine du monde, les africains n’agissent que très peu ou presque pas sur le monde, ils réagissent toujours par mimétisme français depuis pour subsister et survivre. 

La fille aînée de l’Église romaine n’a curieusement pas de mémoire lorsqu’il s’agit de sa période coloniale. Elle dissocie tout, éparpille tout, elle se permet même d’ignorer des pans entiers de son histoire. C’est de bonne guerre. 
Ignorer est souvent le meilleur moyen de refouler ses peurs, ignorer sa victime est la tentation fréquente pour diluer ses remords car, elle permet de refouler au loin l’idée des comptes, la perspective d’être reconnu coupable. Ignorer sa victime, tant sur le territoire français que sur les territoires des africains, est aussi un privilège que seule la France peut se permettre, c’est la preuve de sa force, celle de tout dissimuler, de tout corrompre. C’est l’ultima ratio de sa maîtrise du contexte historique que notre présent tutoie, interroge, secoue et veut casser, excédé par tant mensonges. Elle dissimule sans remord les effets de sa présence, « avancez jeunes africains, ne regardez plus le passé, nous ne sommes pas les seuls responsables, l’avenir est devant vous », tel est le nouveau credo des acteurs politiques et des africanistes. 

La France justifie ses crimes coloniaux et post coloniaux. Elle a formé des historiens pour ça. Elle n’a pas tort, c’était une nécessité suffisante, mais aujourd’hui sa marge du choix de sa vérité se rétrécit, disons qu’elle n’a plus de choix sur cette histoire là. La vérité libère on le sait, la France le sait. 
La vérité en l’occurrence est un ensemble d’actions concertées visant à restituer les contextes  déstructurants pour mieux comprendre le présent africain. Le paradoxe est que sur l’avenir, les africains ont le choix d’être libre ou de souffrir de cette vérité ou encore de continuer à être enchaînés, pour toujours souffrir du manque de mémoire qui rend impossibles les futurs choix. 
Cheikh Anta Diop : « pour les hommes il n’y a pas d’unité sans mémoire : il s’agit de restaurer la conscience historique africaine. » 
 
En guise de conclusion
 
Dans le contexte colonial, c’était le temps du colon. Dans le contexte de la décolonisation c’était le temps de la guerre froide c'est-à-dire le maintien des zones d’influences. La nouvelle donne mondiale nous permet d’activer à ce jour :
le temps des victimes. 

Intelligence des crises : le cas de l’Afrique francophone


INTELLIGENCE DES CRISES


Intelligence des crises : le cas de l’Afrique francophone

 
Par Patrice PASSY
Conseil en Intelligence Economique

      Ce sujet  me permet de faire un détour sur la culture, considérée ici comme la réponse d’un groupe donné, face à son écosystème environnemental. En l’espèce ma réponse devra consister à trouver dans les moyens traditionnels portés à ma connaissance, les réponses des élites africaines face aux problèmes auxquels les Etats d'Afrique francophone pris globalement  ou individuellement sont confrontés ... Ma contribution aux contributions comme le dit Forde (1942) va consister dans l'examen de "l’efficience des solutions apprises des problèmes auxquelles notre vivre et agir ensemble ont été confrontés".
    Mais avant comme vous pouvez l'imaginer, j'ai une question principale qui commande mon examen, quelles sont les réponses que la mosaïque culturelle africaine a développé face aux défis d’une mondialisation qui va assurément s'accélérer de 2013 à 2025 ? 
Pourquoi l'horizon 2025 ? 
     Parce que comme un effet de mode (on commence presque à en avoir l’habitude), toute la communication politique des dirigeants d’Afrique francophone, comme des faux prophètes, nous annonce que ces pays vont émerger économiquement d’ici à 2025.
       Mon constat est qu’en 2013 jamais le monde n'a paru si totalement unifié (par les communications, le commerce, la culture) et aussi sauvagement déchiré et divisé qu'aujourd'hui, par les guerres  économiques, les conflits armés, les batailles pour le leadership mondial par pions interposés entre la Chine et les Etats Unis, les crises financières à répétition, la démocratie importée, le réchauffement de la planète, la diffusion de pandémies.
      Quels que soient les efforts des élites, des politiques et des intellectuels africains face aux défis d'une mondialisation accélérée, je relève que nos cultures ont perdu une guerre, celle des retards : Nos cultures ne doivent pas constamment avoir une guerre de retard, mais être davantage pro-active dans le domaine de la pensée : il est impératif pour les élites de mieux anticiper les problèmes. La défaite de la pensée (face à la violence symbolique de l’Autre) qui en est la cause historique et fonctionnelle, me permet de partager avec vous ce constat. Nous, africains francophones, nous afro-français semblons éprouver de sérieuses complications pour concentrer vraiment nos ressources mentales collectives afin de "penser globalement et agir localement". Cette déconnexion entre notre vision du monde et notre aptitude à la concrétiser de manière conquérante s'explique par l'état actuel de la conscience africaine. Nos cerveaux, nos structures mentales, la pauvreté ambiante, la confusion d’identité nous prédisposent à une façon de ressentir, de penser et d'agir dans le monde qui n'est plus adaptée aux nouveaux contextes qui ont été créés pour nous (colonisation puis décolonisation) et qui s’imposent lourdement à nous du fait de la mondialisation. 

On n’arrête pas les progrès de la bêtise
      Nous africains francophones sommes engagés dans une course folle qui a donné naissance  à une nouvelle expression “ on n’arrête pas les progrès de la bêtise ”, une signification non plus confiante et admirative, mais panique, au quotidien déstructurante.  Nous vivons aujourd’hui l’échec des projets de développement de nos aînés  du moins leurs crises aiguës.  La gestion des projets de la cité depuis des décennies s’est infléchie en une sorte de processus national de corruption incontrôlable et voici que se pose, d’une manière déconcertante pour nous autres de la nouvelle génération, le problème des limites à poser à la bêtise collective et à la guerre des retards. 
Quelle limite aux systèmes de corruption érigés actuellement en mode de gestion des affaires de la cité en Afrique francophone ? 

Ainsi resurgit, au sein même des classes politiques africaines, la valeur que le système de corruption avait congédiée pour émerger et s’épanouir : l’intelligence des crises
Comment faire, nous qui avons vu (élite, diaspora, décideurs politiques, entrepreneurs…) le fonctionnement des autres pour donner place à l’intelligence, dans notre façon d’être, de faire et de savoir-faire  ?

 


        La génération au pouvoir actuellement, en mélangeant les rôles et les intérêts, a volontairement entretenu les confusions. La première exigence va donc être simplement: déconstruire toutes les confusions héritées, construites, entretenues et inconscientes. Pour les futurs prétendants au pouvoir (nouvelle génération de politique, nouvelle élite, nouvel entrepreneur, nouvelle société civile…), en prenant l’exemple d’un artiste (l’homme politique doit être un artiste),  il ne peut pas y avoir une œuvre d’art qui ne ferait que répéter les œuvres anciennes, qu’appliquer des recettes, que se conformer à des modèles. l’œuvre n’aurait pas, alors, droit au titre d’œuvre d’art. Une œuvre d’art ne vaut d'être qu’en étant création, c’est-à-dire qu’elle invente ou qu’elle découvre un monde. Il peut y avoir une discussion d’ordre esthétique sur la question de savoir s’il faut mettre l’accent sur l’invention ou sur la découverte. Il me semble qu’on a un peu perdu de vue l’aspect de dévoilement, de mise-à-jour dans l’œuvre d’art, mais, en l’occurrence, c’est un autre débat. 
       Émergence économique ou néo-décolonisation ou encore découverte d'une nouvelle Afrique multilinguisme et non seulement francophone, il faut que l’œuvre d’art soit création et je pense à cette phrase de Merleau-Ponty : “ L’être est ce qui exige de nous création, pour que nous en fassions l’expérience. ” Cette création, est notre capacité à produire notre propre intelligence. Ça doit être le fruit de notre conduite des multiples crises que la gestion des urgences à géométrie variable du monde africain nous donne comme entrée en matière politique. 

Qu’est-ce qu’une intelligence des crises ?
       En l’espèce, une crise est à la fois un danger et une opportunité. L'étymologie renvoie à "Krisis" en grec qui veut dire décision et en latin "crisis" est le moment décisif d'une maladie. Dans le langage courant le mot crise a conservé ce sens : c'est un moment de tension critique pouvant déboucher sur une issue positive ou négative. Toute l’Afrique francophone des sans voix est en crise, l’élite est en crise, l’Etat est en crise, l’espérance est en crise, le devenir est en crise…
       
L’intelligence consiste  à créer des liens entre des éléments que rien ne lient au départ. L’intelligence est quelque chose de très subtil ; elle n’a pas d’ancrage définitif. Elle voit le jour que lorsque vous comprenez l’ensemble du processus de l’esprit... L’intelligence naît avec la connaissance de soi, et vous ne pouvez comprendre que dans votre rapport à l’univers des êtres, des choses et des idées. L’intelligence n’est pas comme le savoir : elle ne s’acquiert pas. Elle naît dans un surgissement d’immense révolte, autrement dit quand toute peur est absente et qu’un sentiment d’amour est là. 
J’entends souvent dire que nos sociétés sont en crise profonde, j’ai recensé pour ma part les éléments constitutifs de cette Crise :
  1. Affaissement  des systèmes de valeurs et des aspirations idéales
  2. Crise de l’agir et du vivre ensemble
  3. Gestion malhabile des compétences et de perspectives 
  4. Déficit démographique et absence de perspectives politiques
  5. Usures des dictatures et dictateurs
  6. Absence d’idéologie politique
  7. Absence d’Etat stratège
  8. Crise de confiance en soi
  9. Absence de vision conquérante du monde
  10. Crise des motivations : les moteurs et fondements du passage aux actes
  11. Manque de réponses intellectuelles africaines autonomes  aux problèmes endogènes et exogènes africains
  12. Manque de socle commun de croyances et de représentations
      Cette crise a connu une brusque accélération grâce à la mondialisation, je vais finir par voir en elle des effets bénéfiques, un brusque accélération disais-je du préfixe multi dans l’Afrique francophone de 2012…en voici le résumé :
  • multi-partenaire, multi-génération, multi-choix, multi-confession, multi-valeur, multi-conflit, multi-déficit, multi-guerre, multi-faim, multi-urgence, multi-besoin, multi-attente, multi-maladie, multi-révolte, multi-usure, bref le préfixe multi est en ébullition dans une Afrique dont l’inexistence du préfixe hyper (hyper-compétitif, hyper- intelligent, hyper-marché…) donne à la crise des intelligences une intensité particulière. Dur, dur d’être africain ! N’est-ce pas ?
      On a construit pour nous les impossibles du monde des possibles africains "http://ppassy.blogspot.fr/2011/12/2012-le-drame-africain-le-da-la.html" et notre intelligence sociale en a consolidé les aspects négatif et déstructurant. En clair nous éprouvons visiblement des difficultés à comprendre et développer « des sociétés » pour mieux vivre ensemble et réussir ensemble.  Nos réponses ne sont pas satisfaisantes dans ce monde où les accélérations du préfixe multi mettent à nu notre difficulté ou manque d’intelligences à découvrir, créer ou résoudre des problèmes de plus en plus violent, exigeant en termes d’intelligence, rigueur, discipline, qualité, innovation, adaptation, dépassement afin d'acquérir les connaissances nécessaires pour s'adapter à notre environnement et supporter ses modifications. 

Des raisons à cela : 
La défaite de l’intelligence 
       Depuis la fin des années 60, l’Afrique francophone est devenue une société du spectacle. Une société du spectacle est une société où l’on a oublié le passé et dont la fabrique d’avenirs est en panne, il n’y plus qu’un présent perpétuel qui interdit toute pensée, toute utopie structurante et toute sensation. Quelle catastrophe !!! 
     Cette société a stérilisé tous les talents, corrompu tous les disponibles et gangrené toutes les énergies. Cette société est spectaculaire parce qu’il n'y a plus rien à voir dans la ligne des pères des indépendances. J’ai la faiblesse de reprocher à notre temps une chose : c’est de ne pas être moderne au sens de Cheikh Anta Diop, d’être incapable de tout classicisme, de tout rapport à une identité historique et à un avenir stratégiquement définit... C’est peut-être par là qu’il faudrait reprendre cette question si mobilisatrice d’intelligences : de la Nation. Ici en l’espèce (avant que les fédéralistes ne s'excitent) la Nation comme espace, en même temps que (et peut-être avant que) la Nation comme culture, patrimoine, lieu d’expression et de mutualisation des intelligences.
Pourquoi la Nation ? 
      Parce que c’est à la fois un territoire et un héritage. Et ces deux choses aujourd’hui sont en péril à cause de nos aînés.  
     2013…Il semblerait que nous entrions dans un monde sans frontières (nos guerres sont là pour nous le rappeler) et, quant aux héritages, ils ne nous obligent plus, le délitement de nos sociétés, l’effritement de nos valeurs, nos confusions identitaires et notre difficulté de positionnement dans un monde de plus en plus mouvant m’incite fortement à le dire. 
       Certes, la néo-décolonisation (nouveau concept que nous proposons dans un livre en cours de rédaction) se refuse à les congédier, elle les convoque au contraire, mais comme valeurs à mettre en opposition; elle nous propose les valeurs démocratiques occidentales. En fait pour les non-initiés il faut comprendre ces valeurs occidentales comme: la “ mobilisation comptable de tout ce qui est  richesse économique potentielle ”
        Nous avions tous applaudis François Mitterrand, quand il a conditionné l’aide au développement à la bonne gouvernance. Juin 1990 au sommet franco-africain, le président Mitterrand innove : « La France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté. ». Comme nos dirigeants ont été en face des incapacités construites par eux-mêmes, ils n’ont pas compris que pour épouser les évolutions du monde à la fin des années 80, la France avait donc posé deux verrous stratégiques qui ont instaurés,  le contrôle de la démocratie, en clair installent le déficit démocratique français dans sa zone de confort économique. Pour en savoir plus : http://ppassy.blogspot.fr/2011/10/etat-franco-africain-strategie-et.html 

Mais revenons aux faits, malheureusement pour des raisons évidentes je ne vais pas être long (liste non exhaustive de notre défaite de la pensée)
I-Depuis 8 ans, le bureau d'études britannique Quacquarelli Symonds (QS) établit un classement mondial des universités. C’est l’un des trois classements globaux existant à ce jour, avec celui publié par le mensuel britannique Times Higher Education et le fameux classement établi par l’université Jiao Tong de Shanghai. 
Problème : Aucune université d’Afrique francophone de rang mondial sur un rating de 200 universités, seule l’université d’Alexandrie (Egypte) pointe à la 147ème place. Aucun bloc de compétences, ni de connaissances… Aucun « grand campus ».

Conséquences : 
  1. Le continent recèle des ressources naturelles nombreuses et variées, dont beaucoup sont encore inexploitées, malgré le pillage de nombreuses autres durant l’époque coloniale. On peut, à ce propos, mentionner les énormes potentiels d’énergie sous différentes formes (fossile, hydraulique, éolienne, solaire…), les minerais précieux voire stratégiques, l’agriculture notamment irriguée, l’élevage, etc. D’un autre côté il y a la nécessaire préservation de celles qui sont surexploitées par les pays développés comme les ressources halieutiques. Cette mise en exploitation rationnelle de ces potentialités économiques nécessite, comme cela a été reconnu dans la stratégie de mise en œuvre des orientations du NEPAD, d’importantes ressources humaines. Celles-ci ont toujours fait défaut, ce qui a jusqu’ici compromis le développement du continent. Faute de ces ressources humaines adéquates et suffisantes, l’Afrique continue de subir d’énormes pertes économiques dans l’exploitation de ses ressources, en se cantonnant à la place d’exportatrice de ses richesses à l’état brut. 
  2. Il s’y ajoute que l’inexistence de compétences appropriées, qualitativement et quantitativement, accentue le caractère inégal des échanges dans le contexte actuel de la mondialisation, contribuant ainsi à aggraver les pertes économiques
  3. L’observation de la vie politique africaine permet de constater que, dans la plupart des pays, le pouvoir politique se trouve souvent entre les mains de dirigeants les moins diplômés, parfois les moins performants et pire qui n’ont pas été les mieux préparés à l’exercer, au profit des masses laborieuses et du développement des pays. Le souci primordial des tenants de ces pouvoirs issus de coups de force, militaire ou électoral, est de tout mettre en œuvre pour neutraliser ou éloigner tous ceux qui ont la capacité à contester, sur des bases et des données objectives, leurs positions. La situation peut se résumer dans le fait que beaucoup de dirigeants africains continuent de tout mettre en œuvre pour pousser à l’exil tous ceux qui pourraient leur contester le pouvoir. Parmi ceux-ci, les cadres universitaires sont, naturellement, parmi les plus nombreux et les mieux visés. Du fait de cet exil sélectif, il y a dans la plupart des pays africains deux classes sociales extrêmes, les riches qui deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Une importante classe sociale, la classe moyenne, fait défaut. Cette classe, en plus de son apport intellectuel, est aussi un facteur économique important.
L'intelligence des crises : exemple  le bassin du Congo, qui est le bassin versant du fleuve Congo, en Afrique. Il couvre 4 millions de km² où vivent 93,2 millions d’habitants, avec des densités très variables selon les zones. 
Curiosité : Aucune Académie de l’eau, du bois, aucun  Institut Technologique Forêt-Cellulose Bois-construction-Ameublement.

Existant : Institut inter Etats d’enseignement supérieur et de recherche dans les domaines de l’eau, l’énergie, l’environnement et les infrastructures. Créé il y a 35 ans et émanant de 14 États africains francophones. Une quarantaine d’enseignants chercheurs permanents et une quinzaine de professeurs associés originaires de plus de 16 pays. 
Problème : Cet institut n’a pas pu promouvoir l’excellence dans les sciences et l’ingénierie et leurs applications afin de stimuler leur développement. Il n’a pas produit la masse critique de scientifiques et d’ingénieurs de grand talent dont l’Afrique francophone a besoin pour accélérer son développement. 
Intelligence des crises : le cas des ressources stratégiques et matières premières 
Les faits : exemple le Golfe de Guinée
« Le Golfe de Guinée disposerait d’un des plus grands gisements sous-marins de pétrole connus au monde, soutiennent de nombreux spécialistes. Avec 24 milliards de barils de pétrole de réserves prouvées, cette partie du continent, qui est une synthèse de l’Afrique occidentale et de l’Afrique centrale, est de loin la première région pétrolière africaine, avec des pays comme le Nigeria, l’Angola et la Guinée équatoriale, qui figurent au peloton de tête des producteurs de pétrole du continent. Rien d’étonnant que sur les 9 millions de barils de pétrole produits quotidiennement en Afrique, cinq millions de barils, donc plus de la moitié, proviennent du Golfe de Guinée… »
Problèmes: Aucune académie du pétrole…capable de promouvoir l’excellence dans les sciences et l’ingénierie et leurs applications afin de stimuler l’exploitation du pétrole de manière maîtrisée et autonome.  Ce qui existe, n’a pas pu produire la masse critique de scientifiques et d’ingénieurs de grand talent dont l’Afrique francophone a besoin pour accélérer son développement.
Je pourrai à l’infini aligner les faits ainsi que leurs conséquences, d’autres mieux érudits que moi l’ont brillamment fait, nous vous invitons à nous rejoindre lors de nos conversations stratégiques devenues fermées, n’hésiter pas à poser vos questions pour ouvrir vos portes par mail patrice.passy@hotmail.fr.
La semaine prochaine : la guerre des retards dans un rapport du faible au fort.