INTELLIGENCE ECONOMIQUE
CONGO-BRAZZAVILLE
PÉTROLE ET PROTECTION DU PATRIMOINE ECONOMIQUE DE
L’ETAT
Par Patrice PASSY
Conseil en Intelligence Economique
Qu’est-ce que c’est la guerre économique ?
Prenons le cas de la Libye et de l’Irak, dans ces deux cas, les interactions entre guerre et économie ont produit une dynamique favorable à la fois à la puissance militaire (test grandeur nature de nouvelles armes et tactique de combat) et à la richesse nationale (nouveaux marchés, nouveaux contrats, main basse sur l’économie des vaincus). Nous pouvons dire dans ces deux cas, que la guerre a été au service de l’économie, mais aussi l’économie a structuré et organisé la stratégie de la conduite de la guerre.
Pour le dire d'une autre façon, la guerre économique semble se dérouler sur trois étages :
- Il s'agit d'abord de produits : gagner des marchés, se procurer des biens nécessaires dans de meilleures conditions, mieux produire et vendre…
- Il s'agit ensuite de règles : imposer son code y compris sous la forme de normes juridiques internationales ou sous celle de normes intériorisées par les acteurs
- Il s'agit enfin de promouvoir des images (images de ses entreprises, de son pays, de sa culture, de valeurs qu'il évoque et incarne) ou des images négatives du concurrent
- Or ceci se fait par deux moyens combinés : ceux qui ressortent à l'autorité de l'État (sa faculté d'obtenir de l'obéissance sans avoir à verser de contreparties ou sans employer visiblement la force ou la menace), des moyens d'influence qui agissent sur la vision de la réalité que se forment des dirigeants ou des populations. Pour en savoir plus... http://www.huyghe.fr/actu_694.htm
Pétrole Congolais et guerre économique
La notion de guerre économique se conçoit dans le contexte
congolais, comme un tissu d’affrontements économiques entre les multinationales
qui sont les bras séculier des puissances économiques dans les rapports
marchands mondiaux et les intérêts de l'Etat Congolais. Car, si en cas de
guerre les Etats ou les alliances d’Etats se font la guerre jusqu’à la victoire
totale, les entreprises, quant à elles, peuvent être tout à la fois
concurrentes et partenaires. Dans ce contexte d’affrontements économiques
exacerbés, le Congo aiguise depuis la fin des années 90, l’appétit des majors
pétroliers. Sa position géostratégique fait de lui un pivot stratégique dans le Golfe de Guinée.
L’arrivée de la Chine pays faisant partie du BRICS dans les rapports économique
entre le Congo et le monde extérieur donne à la guerre économique qui se
déroule dans le Golfe de Guinée, une intensité particulière au
Congo-Brazzaville. Sauf que les Congolais subissent cette guerre sans toujours prêter attention aux subtilité de celle-ci, ni ne disposent d’outils et méthodes de traitement et gestion des
situations induites. Cette guerre est bien réelle puisqu'elle a déjà causé beaucoup de
morts et de troubles politiques et économiques partout dans
le monde.
En 2013, le Congo-Brazzaville est donc au centre de la nouvelle géopolitique pétrolière et
des stratégies de développement des majors. La cherté du baril brut et la
nécessaire diversification des sources d’approvisionnements donnent à
Pointe-Noire, une importance stratégique de premier ordre. Nous ne
pouvons continuer à être les spectateurs de cette lutte violente pour le
leadership mondial, sans amorcer une réflexion-action profonde au niveau des
structures de décisions de l'Etat. Nous regrettons que depuis l’indépendance, plusieurs partenariats
interentreprises ont été réalisés ainsi que des politiques de coopérations mises en place ou imposées, avec pour objectif principal: acquérir les
matières premières congolaises aux prix fixés par l’acheteur.
Comment
cela a-t-il été possible ?
Si je peux me permettre de résumer la structuration de ces mécanismes, je m’exprimerai
ainsi : aux malformations congénitales des suites d’une
« œuvre de civilisation » à tâtons (la colonisation) et d’une
décolonisation bâclée, c’est-à-dire structurellement non préparée, s’ajoutent les
handicaps institutionnels congolais que renforcent les handicaps
culturels.
Handicaps
institutionnels
La myopie stratégique de l’Etat
1 Il
eût fallu d’abord que l’État congolais construise
une doctrine : qu’il identifie les intérêts économiques et scientifiques
majeurs du Congo, puis qu’il mette en place les outils destinés à leur
promotion et à leur défense. Nous n'avons pas développé ce qu'on appelle une culture
stratégique dans tous les domaines de souveraineté de l'Etat en 52
ans d'indépendance, malgré nos diplômes.
Il
eût fallu ensuite que les
administrations publiques soient conduites, voire contraintes, à collaborer
entre elles, que l’information circule de manière horizontale et non
exclusivement de manière verticale. Que les cloisons en somme disparaissent (le
fonctionnement en silos), et que s’atténuent les rivalités et les jeux de « corps
» et les tribus afin qu’apparaissent et se développent une gestion en réseaux
d’intérêts transversaux et une connivence nationale d’intérêts divergents et convergents entre les centres d'intérêts.
Les
pouvoirs publics s’arrogent le monopole de la défense de l’intérêt général ;
les entreprises dénoncent de leur côté l’incapacité de l’État à
comprendre les réalités du marché et la psychologie de ses acteurs… Et
méconnaissent les atouts des entreprises en tant que levier fondamental de
croissance et de développement économique.
L’impulsion
politique n'a jamais été une tendance lourde et puissante, pour favoriser les
convergences d’intérêts entre le secteur public et le secteur privé.
L’État
n’a jamais défini ni les secteurs d’activités stratégiques en termes de
souveraineté, d’emplois, d’influence –, ni nos besoins technologiques s’y
rattachant, et n’a toujours pas rendu public, les forces et les faiblesses de la recherche
et des industries congolaises dans les dits secteurs.
Handicaps culturels
- Nos élites, issues de la fonction publique ou de
l’entreprise, n’ont été formées que superficiellement aux transformations de
notre environnement économique international, aux complexités du monde la finance et des économies dominantes. Les décisions des pouvoirs
publiques sont souvent aveugles, et quand elles ont la chance d'exister, elles ne sont le fruit que d’une accumulation d’opportunités et
d'opportunismes.
Comment
protéger le patrimoine national de l’Etat ?
Un état des lieux des
vulnérabilités congolaises en 2013, relatif à la protection du patrimoine
économique congolais, nous aidera à mieux définir le périmètre des intérêts
stratégiques de l'Etat à défendre et à valoriser.
Analyse de l'existant
- Méconnaissance du rôle de l’Etat dans la
protection du patrimoine immatériel de l’Etat
- Non maîtrise des concepts sur l’Intelligence
Economique
- Promotion des intérêts économiques
insuffisante dans le monde et au Congo
- Insuffisance
de la réglementation (droit des affaires,
droit du commerce, coopération interentreprises, contrôle des investissements,
droit du secret, périmètre stratégique de l’Etat, etc…)
- Absence
d’un environnement favorable à l’émergence d’une offre de services privés aux entreprises
dans le domaine de l'audit, le conseil, le lobbying, l’Intelligence Economique
- Absence
d’une réflexion nationale sur l’Intelligence Economique, le périmètre stratégique
des intérêts de l’Etat, les pôles de compétitivité économique, la nouvelle
économie et ses risques pour l'Etat congolais
- Manque de cycles de formation
Conséquences
dans les rapports entre les acteurs économiques et le marché captif (l’Etat)
- Difficultés d’accès à l’information à haute
valeur ajoutée
- Incohérence des bases d’informations (Présidence, gouvernement, ministères,
organismes publics, chambres de commerce, ambassades, etc…)
- Absence de sensibilisation et d’information
sur les enjeux et le rôle de
l’information dans l’entreprise et les organismes de proximité
- Manque de formation des techniciens et des
cadres sur les métiers de souveraineté (conseil,
audit, négociations, expertises pointues)
- Persistance des intérêts divergents entre
l’entreprise privée et les institutions publiques
- Manque de cohésions des équipes au sein
des entreprises
- Manque de coordination opérationnelle des
stratégies et mesures d'accompagnement
- Absence d’organisation et de management
des priorités économiques par projet
Cela
fait peser plusieurs menaces sur le Congo-Brazzaville, je n’ai répertorié trois
(liste non exhaustive) :
Les
menaces financières
L’OMC dont l’objectif consiste à
favoriser le libre-échange, prévoit la possibilité pour les Etats de se doter
de dispositifs spécifiques afin de préserver les intérêts essentiels de leur
souveraineté. Ces dérogations aux principes du libre -échange figurent aussi
dans les statuts du FM
I
Que
constatons-nous au Congo-Brazzaville dans la préservation des intérêts
essentiels de sa souveraineté :
- Inexistence d’une loi sur les relations
économiques extérieures
- Absence
d’un cadre juridique, fiscal, financier, universitaire clair et précis
favorisant et accompagnant la mise en
œuvre des pôles économique, industriel, technologique, informatique,
universitaire…
- Absence d’un concept sur les entreprises
stratégiques au Congo
- Vulnérabilité du capital des entreprises
congolaises classées stratégiques
- Insuffisance des contrôles de certains
investissements internationaux
- Imperfection du dispositif réglementant les
relations financières avec l’étranger
Les
menaces juridiques
- Le secret économique n’est pas
suffisamment garanti
- Le secret des affaires n’est pas du tout
bien compris, ni préservé
- Une gestion malhabile de contraintes
juridiques internationales
- Absence d’une loi assurant la protection
des entreprises nationales et des particuliers contre le vol du secret
d’affaires
- La cohérence et l’efficacité de textes de
lois restent imparfaites
- Absence de loi sur le crime économique, la
fraude économique, l’espionnage économique, le commerce électronique, etc…
- La
coopération inter-entreprises est rarement en faveur des nationaux
- Des entreprises sont parfois victimes de
procédures judiciaires étrangères
Quelles sont les failles congolaises qui profitent à l’extérieur dans la conduite de cette guerre :
- Manque de patriotisme national
- Manque sécurité juridique, fiscale et des affaires
- Gestion malhabile de l’intelligence des affaires
- Environnement des affaires jugé peu fiable
- Faible industrialisation
- Faiblesse de l’investissement privé direct
- Insuffisance des infrastructures routières et portuaires
- Faiblesse des communications
- Main d’œuvre peu qualifiée
- Intégration régionale balbutiante
- Pouvoir d’achat des congolais dérisoire
- Filière agricole traditionnelle non valorisée
- La faible estime des Congolais de leur propre pays
Rôle et enjeu de l'intelligence économique dans ce
contexte
L’intelligence économique peut nous aider – État,
entreprises, collectivités territoriales, associations et fondations – à
promouvoir collectivement nos intérêts dans les nouvelles enceintes de
régulation et de normalisation. L’intelligence économique ne coûte rien, ou
pour ainsi dire, pas grand-chose : son efficacité repose sur celle des réseaux,
des circuits de l’information, sur la mobilisation des pouvoirs publics,
l’élimination des conflits de chapelle et des cloisonnements, sur beaucoup de
méthodes. Sur la valorisation aussi de celui qui donne l’information et non de
celui qui la retient, sur la compréhension par les administrations publiques
des enjeux de l’entreprise et, pour l’entreprise, des priorités de l’État et
donc de la Nation. Bernard
Cayron
QUE
PEUT FAIRE POUR LE CONGO AVEC SON PÉTROLE ET SES MOYENS LIMITES ?
Voici nos quatre axes de notre démarche d'Intelligence Economique
Les
prérequis
Sécurité
économique : Une mutation de l’Etat à accomplir avant 2014
- Stratégie
nationale et départementale de sécurité économique est nécessaire, nous
proposons le création du Conseil National de Sécurité Economique
- Une organisation des textes est obligatoire mais progressive avant 2014
- Définition
d'un périmètre stratégique de l’économie congolaise dans le cadre d'un comité interministérielle de sécurité économique en 2014
Axe
1 - De la Défense Nationale à la Sécurité Economique
- N.B : Du fait de la complexité des
interactions entre les différents départements et de la sensibilité de la
question au Congo-Brazzaville, il est indispensable d’adopter la stratégique
des petits laboratoires de manière
itérative avec comme mode opératoire le management par projet, en proposant
pour chaque axe un « root », première approximation qu'on affine au fur et à
mesure que s’accroît notre compréhension du périmètre stratégique de l’économie
et des intérêts identifiés.
Axe
2 - Une stratégie nationale et départementale de sécurité économique est
nécessaire
Principe
:
L’Etat doit agir par la commande publique, un nouveau cadre juridique doit
remplacer les règles actuelles, obsolètes et inadaptées de passation des marchés
publics.
- Définir
une stratégie nationale de sécurité économique
- Conseiller
le Président de la République sur les politiques économiques nationales et
internationales
- Définir
les orientations de la politique menée dans le domaine de la sécurité
économique et d’en fixer les priorités
- Assurer
la cohérence et la coordination des actions menées par les différents pôles et
ministères
- Procéder
à la revue des projets annuels et l’évaluation des exécutions, enfin veiller à
l’adéquation des moyens mises en œuvre
- Soutenir
la conquête du marché intérieur et extérieur
Axe 3 :
Une organisation des textes est obligatoire mais progressive au
Congo avant 2014
·
L’on ne change pas la société par décret. En
revanche, le droit peut et doit être changé ou réadapté par la société ou
l’Etat et ce chaque fois que le besoin se fait sentir à l’occasion d’une
évolution technologique, d’une découverte scientifique ou de l’évolution des
rapports économiques mondiaux. L’évolution du droit doit aller de pair avec les
processus économique, social, politique, commercial, culturel, idéologique,
etc. Un droit qui ne correspond plus à la situation économique à laquelle il
s’applique est un véritable frein à la compétitivité économique, au progrès et
au développement économique, commercial, politique, culturel, humain.
Axe
4 : Les quatre laboratoires en vue d’une définition d'un périmètre stratégique
de l’économie congolaise en 2012 par le comité interministérielle sur la sécurité économique
Les
quatre laboratoires
Root
1 : Dimension stratégique
- Etat des lieux des intérêts stratégiques
nationaux
- Analyse stratégique du contexte et de
l’environnement actuel du Congo
- Définition d’une stratégie globale et
transversale de sécurité économique
- Définition d’un périmètre stratégique de
l’économie nationale
- Proposition d’un cadre législatif et d’un
cadre référentiel
Root
2 : Dimension opérationnelle
- Mettre en place une cartographie
décisionnelle et informationnelle de chaque entreprise, organisation,
institution…
- Disposer d’une cartographie des besoins des
entreprises et des compétences disponibles
- Créer une direction centrale de contact et de
soutien aux entreprises
- Créer une bourse de compétences congolaise de la diaspora
- Organiser un guichet unique d’information
stratégique à haute valeur ajoutée
Root
3 : Cœur national stratégique
- Sensibiliser les décideurs politiques,
économiques, les PME congolaises aux nouvelles pratiques de la compétition
internationale
- Fédérer les institutions nationales autour
d’une démarche de compétitivité économique, recherche et développement,
d’Intelligence économique, cohésion nationale et non cohésion tribale
- Développer les axes de développement selon
les compétences congolaises et les ressources disponibles
- Professionnaliser les entreprises
stratégiques à la culture du partage de l’information stratégique
- Organiser les réseaux institutionnels de
connivence d’intérêts
- Développer de nouveaux paradigmes autour des
notions : cohésion nationale, Nation Congolaise, tribu, vivre et agir ensemble,
Unité Nationale, développement de l’homme congolais etc…
- Sensibiliser les cadres à la gestion en contexte international des problématiques interculturelles pour toute communication, négociation, partenariat et mission à l’extérieur.
Root
4 : Dimension prospective
- Organiser la réponse de l’Etat par projet
stratégique à définir selon les besoins et priorités
- Créer des lieux de pollinisation mutuelle sur
les thèmes suivants : Analyse stratégique, intérêts congolais, lobbying,
transfert de connaissances, intelligence économique…
- Réfléchir sur la stratégique de développement
économique et la cohésion sociale
- Organiser nos connaissances et surveiller les
variables économiques a effet direct et indirect sur l'ensemble de l'économie
congolaises.
Patrice PASSY
Directeur associé de DB CONSEILS
- Consultant
- formateur en Gestion des problématiques interculturelles à DGC - MBA 1 & 2
- Intervenant
à l’ISEAM 3ème cycle / Msa 2 en Intelligence
économique et compétitivité de l’entreprise
13 ans d’expérience internationale (Paris, Bruxelles, Shanghai, Vienne, Johannesburg, Abidjan, Brazzaville, Cotonou, Kinshasa, Dakar, Douala….)
Consultant-formateur en entreprise
Conseiller d’acteurs politiques en Afrique
Centrale