2 milliards 450 000 000 d’habitants en 2050
Les exigences des normes africaines pour des enjeux démographiques, financiers, industriels, environnementaux colossaux
La normalisation est un
accélérateur d’innovations. En amont, elle fournit des méthodes et des résultats
de référence, constituant des bases solides et un gain de temps dans le process
d’innovation. En aval, elle facilite la diffusion des idées d’avant-garde et
des techniques de pointe. Elle crée un climat de confiance en faveur des
innovations chez l’utilisateur final. L’enjeu actuel en cours de
négociations dans le monde entre les États-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie et
l’Europe est dans 20 ans : la maîtrise des normes et des standards.
Celui qui arrivera à imposer ses standards au reste du monde gagnera les
marchés et la bataille du leadership mondial.
La norme : définition et intelligence économique
Une norme est essentiellement
une manière convenue de faire quelque chose. Elle peut concerner la fabrication
d'un produit, le management d'un procédé, la prestation d'un service ou la
fourniture de matériel. Les normes couvrent un gigantesque éventail d'activités
réalisées par des entreprises et mises au service des clients. Les normes
définissent une forme de sagesse accumulée et distillée par des experts dans
leur domaine, qui connaissent les besoins de l'entreprise qu'ils représentent,
notamment les fabricants, les vendeurs, les acheteurs, les clients, les
associations de commerce, les utilisateurs ou les organismes de réglementation.
Les normes sont synonymes de connaissance. Les normes sont de puissants outils
pour stimuler l'innovation et accroître la productivité. Elles contribuent à
mieux faire réussir les entreprises et à rendre la vie quotidienne plus facile,
sûre et saine.
La
normalisation est un précieux outil d’intelligence économique offensif en
Afrique
La
guerre pour le leadership mondial est désormais économique, la notion de sécurité
économique a rejoint la question de la sécurité nationale. Les connaissances et
le savoir représentent l’avantage comparatif du XXIe siècle et fondent la
richesse des pays. L’influence sur ces règles du jeu internationale est une
composante essentielle, quoique peu visible de la compétitivité des
multinationales entreprise et de leurs États. Elle est aussi une composante
du soft power, des puissances économiques, cette attractivité des États qui
peu à peu pénètre les esprits-cibles et forge les opinions nationales. Il faut donc
considérer l’activité normative comme un investissement : les coûts
d’entrée dans le système normatif sont des frais d’établissement, les frais
qu’elle occasionne sont des frais commerciaux indispensables et l’ensemble des
sommes qui y sont consacrées sont des investissements immatériels, au même
titre que la recherche. La norme n’est jamais innocente, c’est d’abord un outil
de la compétition. Les normes sont une passerelle entre l’innovation et le
marché : celui qui contrôle le point de passage détient une position clé.
La
stratégie est la suivante : dès qu’il y a une innovation, il faut travailler la
norme. Car le pays où le produit final se développera prendra la norme qui
existe. Les normes génèrent un vrai business. Le processus est simple :
inventer une méthode, lui donner un acronyme, la faire valider par une autorité
normative, en vendre la certification, la formation, les livres, les audits…
La stratégie de puissance économique des pays se joue aussi dans les instances de normalisation. Ces très discrets comités techniques internationaux sont le théâtre de stratégies d’influence où chaque pays cherche à promouvoir ses intérêts. La France allié traditionnel des pays de la zone franc figure en bonne place. Elle se hisse à la troisième place, derrière les États-Unis, mais devant le Royaume-Uni, le Japon et la Chine. Ce classement, peu connu du grand public, prend toute son importance quand on connaît l’impact des normes sur l’économie mondiale. Près de 100 % des normes concernant les entreprises africaines sont décidées au sein d’enceintes internationales dont 90 % des nouvelles normes sont d'origine européenne (EN) ou internationale (ISO). L’Allemagne est en effet le pays qui détient le plus de secrétariats dans les comités techniques de normalisation (CT). Les comités techniques désignent les instances où se font et défont les normes. Ils rassemblent des dizaines de pays désireux de faire prévaloir leurs intérêts dans le plus grand nombre de domaines possibles : aéronautique, produits alimentaires, chimie, poids et mesures…
Les connivences d’intérêts et les normes
internationales : Le monde des experts de l’ISO ressemble plus à un univers d’ONG qu’à un
réseau inter étatique. Il faut y faire du réseau et y convaincre sur la durée. Dans
les cercles normatifs et réglementaires, les relations individuelles sont
essentielles. Il faut être reconnu. Tous les gouvernements du monde sont
d’accord sur un point : il faut déployer des stratégies d’influence dans les
instances de normalisation. Dans ces instances malheureusement, tout est
fait pour nous africains, sans nous, en d’autres termes contre nous. Il
nous faut donc investir dans l’économie de la connaissance.
La
guerre des normes s’intensifie en Afrique
Nous avons relevé, au cours de nos missions de
conseil en Afrique, que ce continent qui va devoir gérer en une génération près
d’un milliard d’individus en plus, croule sous le poids des normes
internationales. Le fait marquant est que la demande de normes et règles est en
croissance constante et de plus en plus d’acteurs publics et privés africains participent
à leur mise en œuvre à travers leurs agences nationales de normalisation, sans
prendre conscience des enjeux cachés. Les États africains sont des acteurs
faibles et pas singuliers dans cette compétition. Une lecture attentive des
enjeux réglementaires et normatifs peuvent être désormais considérés comme une
opportunité pour l’Afrique. L’occasion de rebattre les cartes de l’éternel
face-à-face avec l’Europe et parfois l’affrontement entre la BRICS, l’Europe et
les États Unis. Sachons aussi que la compétitivité-coût de
l’Afrique va devenir une réalité avant 2050. Elle sera fondée sur sa capacité
de production de normes dans la protection de son patrimoine économique ainsi
que de ses matières premières.
A cela s’ajoute le fait que l’Afrique, en général,
est aujourd’hui régie par des règles et normes presque intégralement
européennes et internationales, qui elles aussi évoluent sans cesse. Ces
régulations de toutes natures déterminent les marchés africains et fixent des
types de gouvernance de leur organisation. Les normes en Afrique ne
sont jamais innocentes, que leurs auteurs cherchent à devancer la concurrence,
à la freiner, ou à exporter des contraintes, elles participent à l’atteinte des
objectifs fixés par la guerre économique que se livrent les puissances du monde
dans leur course au leadership en Afrique. Les régulations peuvent
faciliter les affaires des multinationales ou au contraire, limiter les accès à
des pays dans leur zone de confort économique (la zone franc par
exemple). Elles transportent des approches techniques, financières,
juridiques, de gestion et d’éthique qui favorisent ou défavorisent les autres
intervenants sur ce marché.
La faible capacité à normaliser dans
les pays africains n'est-elle pas liée à leur poids économique ?
Il se livre dans ce domaine une véritable concurrence
entre les pays en Afrique. Mais chacun peut concourir avec ses alliances et ses
arguments. Ainsi la normalisation en Afrique a des atouts spécifiques ; la
francophonie constitue un véritable réseau qu’on peut valoriser et mieux
exploiter. Les pays africains doivent définir des priorités stratégiques
africaines de normalisation en associant un nombre croissant de partenaires -
métiers, consommateurs, TPE, PME, - notamment par le biais de consultations sur
Internet par exemple, sur les produits forestiers non ligneux par exemple,
l’habitat, les villes intelligentes des années 2050. Cette normalisation doit
aussi de plus en plus répondre aux enjeux de société : ingénieries financières
innovantes pour financer les émergences économiques, financer les
développements des infrastructures, la création des villes africaines
nouvelles, les mobilités du futur. Exemple : les nouvelles architectures des
villes vont très probablement nécessiter des travaux de normalisation pour mieux
définir les niveaux de services attendus.
Est maître d'un marché, celui qui organise la consommation.
La normalisation est-elle une arme pour les entreprises occidentales
?
Dans le monde, l'Afrique ne dispose pas d'une bonne
capacité de contribution aux travaux internationaux de normalisation, ce qui
préoccupe naturellement les spécialistes nationaux. Généralement, ce sont les nouveaux
inventeurs qui demandent la normalisation de leurs produits ou méthodes. Il est
donc probable qu’une Afrique importatrice de produits ou services lance des
travaux de normalisation de ces produits, notamment pour ne pas se laisser
imposer des standards propriétaires. Cela est possible car retenons, sauf
exception, aucune norme n'est coercitive.
La démarche
chinoise peut servir d’exemple
Pour les Chinois, la normalisation fait partie de la diplomatie
économique et donc de la diplomatie tout court et ils multiplient les
coopérations normatives bilatérales sur les sujets les plus divers, avec de
nombreux pays. Alors qu’elle n’a pris ses premières responsabilités qu’à
partir de 2004, la Chine assure d’ores et déjà la présidence d’une
trentaine de comités et sous-comités à l’ISO (environ 6 %). Dès
qu’un siège est vacant, elle présente sa candidature. Son implication dans les
structures techniques a également beaucoup progressé.
"Comment combler le 'trou structural ?"
L’Afrique,
secteurs public et privé confondus, ne dispose ni de compétences remarquables
ni de savoir-faire pointus dans plusieurs domaines clé de son développement.
Elle n’a donc pas développé d’expertise dans la compréhension et l’analyse des
enjeux des partenariats économiques (les Accords de Partenariats
Économiques nous le rappellent douloureusement), ni associé ses élites
dans la production des connaissances stratégiques participant à la mise
en place d’une intelligence économique et d’influence à long terme, portant
notamment sur la normalisation et l’action sur les règles du jeu. Les
acteurs économiques et politiques africains, dans leurs accords de
partenariats, marquent trop peu d’intérêts à la guerre des normes qui se
déroule dans ces pays. La normalisation en Afrique doit être associée de
manière cohérente aux autres stratégies commerciales, aux actions d’influence étatique
ou africaine, à la défense de nos intérêts dans les accords de libre-échange, à
l'action régulière au sein des organisations internationales, à la préparation
de la sécurité économique de nos marchés domestiques, et aussi à la conquête
des marchés internationaux, donc de nos emplois. Il faudra que nos responsables
privés et publics accordent à ces questions l’importance que leur donnent,
depuis longtemps, leur meilleur allié traditionnel
Quel
partenariat entre l’État et les entreprises ?
L’implication
dans l’activité normative par l’État se fait lentement et de manière
désarticulée, avec comme malformations congénitales de faibles visées défensives
et structurantes. Les entreprises ne se sont pas organisées pour en faire leur
sujet, le laissant à l’État qui faute de connaissance et de moyens ne fait pas
de la normalisation un levier complémentaire d’émergence économique. La
présence tutélaire de l’État est, comme dans d’autres domaines, la raison
principale pour laquelle les entreprises ne se sont pas approprié la normalisation ni
l’influence normative. Il est curieux que l’État soit toujours en première
ligne malgré ses déficiences et lacunes.
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