DE
L’EMPOI STRATÉGIQUE DES CONTENUS INFORMATIONNELS
L’emploi
des contenus informationnels à des fins stratégiques est trop souvent confiné
au domaine de la communication institutionnelle ou à celui, non moins limité,
des « opérations d’influence ». Il déborde pourtant largement ces
quelques usages, qui ne sont que la partie congrue d’un champ d’action
nettement plus vaste.
Communication politique et usage des contenus informationnels
L’usage
du contenu informationnel est l’essence même de la communication : on ne
fait passer un message que pour produire un effet, qu’il soit strictement
informatif (« le ciel est bleu ») ou plus complexe, par exemple en
disant « il fait beau », avec une connotation positive induite par
l’usage du mot « beau » - ce qui est beau étant également présumé
« bon ». Une large part de cet usage est inconsciente : l’on
signifie involontairement un large panel d’informations. Cette idée fonde la
psychologie moderne. L’usage
stratégique du contenu informationnel relève donc bien de la communication, au
sens large, mais s’en distingue par le fait qu’il nourrit l’ambition d’être en
permanence conscient du signifié : il s’agit de ne communiquer que ce que
l’on souhaite, tout en empêchant la diffusion des signifiés qui
transformeraient ou invalideraient le message émis. Ce premier usage est celui
le plus souvent admis lorsque l’on parle de « communication politique » dans le monde politique : il s’agit de diffuser
un message prédéfini, et seulement lui, par des voies choisies pour en
optimiser la diffusion et l’impact sur la population cible. On retrouve ici l’idée
de « façonner une image », d'installer une autorité compétence d'un candidat ou homme politique par exemple.
Il ne
s’agit toutefois là que d’une seule des utilisations possibles des contenus
informationnels à des fins stratégiques, qui correspond peu ou prou à celle des
« opérations psychologiques ». En pratique, celles-ci n’ont donc une
efficacité maximale que sur une audience captive, c’est-à-dire lorsqu’elles
sont pratiquées par un acteur disposant, pour cette audience, du monopole de la
production de contenue informationnel. C’est la raison majeure pour laquelle la
cible la plus réceptive aux activités de communication d'influence est finalement l’opinion
amie, la moins exposée aux messages adverses. Cela explique pourquoi les
« PSYOPS » classiques, telles qu’elles ont pu être pratiquées par les
Etats-Unis au Vietnam, ou, pour l’essentiel, par l’ISAF en Afghanistan par
exemple, sont peu efficaces per se,
puisque l’audience qu’elles cherchent à atteindre, l’opinion adverse, est aussi
celle qui leur est la moins accessible …
Le
champ des signifiés peut toutefois être investi de manière plus élaborée, comme
un espace de manœuvre à part entière : on retrouve ici le concept de
« guerre pour l’information », qui renvoie aux notions politiques de
propagande et contre-propagande. Ce second usage s’appuie sur le premier pour
façonner le message émis afin d’acquérir auprès d’une audience cible donnée un
auditoire qu’il s’agit de convaincre ou de manipuler. Ici, on postule d’emblée
la présence de plusieurs acteurs, et aux messages émis s’ajoutent des contre-messages
qui sont autant de réponses à ceux du ou des autres acteurs avec lesquels on
partage une audience. La communication politique relève de cette logique, qui
correspond aux « opérations d’influence ». L’enjeu est à la fois de
préserver son auditoire de départ et d’en acquérir de nouveaux, ou d’accroitre
le taux de pénétration des messages amis dans l’auditoire déjà réceptif pour
achever de le convaincre (ou de le manipuler).
Que faire face à un acteur politique ayant le monopole informationnel ?
L’irruption
de l’idée de compétition pour une même audience entre plusieurs acteurs
transforme les conditions d’émission du message. Un acteur en situation de
monopole informationnel recherchera le message optimum : le meilleur
signifiant possible pour transmettre un signifié extrêmement réfléchi, et généralement
unique. Les campagnes d’information menées par un ministère de la Communication relèvent par exemple d’une telle démarche. Mais lorsque plusieurs signifiés s’affrontent,
le principe d’optimum s’efface pour céder la place au principe
d’efficacité : il n’est plus question de délivrer le meilleur message, mais
un meilleur message que celui du compétiteur/adversaire.
La bataille informationnelle
L’exemple
politique est ici pertinent. Lorsque plusieurs candidats se disputent une
élection, il devient difficile, voire presque impossible à l’un d’eux de
convaincre les électeurs qu’il est le meilleur candidat possible, ne serait-ce
que parce que ce message va nécessairement être dégradé par les contre-messages
adverses. Il lui est en réalité simplement nécessaire de passer pour un
meilleur candidat que ses adversaires du moment, un résultat qui, lui, est
atteignable. L’irruption du principe d’efficacité – qui n’est pas celui
d’efficience – suppose le passage du domaine de la stratégie « pure »
à celui de la tactique : il s’agit bien de défendre les contenus informationnels
« amis » et d’attaquer ceux de l’adversaire.
Ce
combat pour imposer ses contenus informationnels est tout aussi différent du
combat par les contenus informationnelles. Dans les cas précédent, le but est
toujours l’émission d’un message quelconque : on cherche à émettre un tel
message ou à dégrader son émission par l’adversaire. Lorsque l’on combat par
les contenus informationnels par exemple sur la modification ou non de la constitution, il s’agit de se servir des signifiés
comme moyens qui visent des fins plus élaborées. On recourt alors abondamment à
la « tactique » informationnelle, mais on se situe clairement dans le
domaine de la stratégie : c’est là où il est alors réellement permis de
parler d’opérations informationnelles.
ARGUMENTER POUR CONVAINCRE
LE RÔLE DES OPÉRATIONS PAR LES CONTENUS OPÉRATIONNELS
Ces
« opérations » répondent bien, en effet, à une forme d’opératique des
contenus informationnels, puisqu’il s’agit d’organiser les
« combats » informationnels individuels pour que la stratégie pousse
le subtiliser aux fins de des campagnes. Le but ici n’est pas uniquement de faire
prévaloir ses vues auprès d’une audience donnée, mais d’user de contenus
informationnels pour s’en prendre plus directement à un adversaire. On est bien
dans le cadre d’une conquête d'opinions.
Les
buts poursuivis peuvent être, dans ce cadre, d’appuyer des actions plus vastes.
Il peut alors s’agir de créer la surprise, de pratiquer l’» intoxication
informationnel » de l’adversaire, par des moyens divers : émission de
faux messages, émission de message vrais, mais destinés à désinformer ou
détourner l’attention. On peut aussi chercher à prendre un ascendant moral sur
l’adversaire politique, par le dénigrement, minant le soutien dont il bénéficie, ou encore
à le désorganiser, par des moyens identiques, en visant cette fois sa cohésion
autant que le soutien dont il bénéficie.
Par
ailleurs, il ne faut pas oublier le volet défensif essentiel de telles
opérations, qui peuvent au contraire avoir pour objet de rétablir une
réputation (c’est le principe du « whitewadhing » en communication),
de la conforter ou, plus largement, d’empêcher l’adversaire de déployer ses
propres opérations informationnelles. De telles opérations combinent ainsi
l’information (au sens de la production de contenus informatif), l’argumentation
compétitive (pouvant procéder par conviction ou manipulation, ou les deux), et
l’accusation (diffamante ou non). Notons, au demeurant, que la question du
signifiant et du média et de leur usage y relèvent entièrement de l’ordre de la
tactique, tandis que la détermination du signifié est de l’ordre de la
stratégie. Des opérations
par les contenus informationnels plus évoluées peuvent chercher à atteindre
directement –par elles-mêmes – un but stratégique.
Deux catégories de buts de
cet ordre se distinguent.
Le premier est la subversion
Il s’agit ici de se
servir de l’information, de l’argumentation et de l’accusation pour non plus
seulement désorganiser un adversaire, mais le subvertir : retourner son
organisation contre lui, créer non plus du désordre, mais un (ou des)
« anti-ordres » qui mineront durablement sa capacité à agir. Ce stade
élevé d’offensive par les contenus informationnels est, bien évidemment, un
acte de politique voire de guerre informationnel, même s’il est mené seul. Il s’agit clairement d’une ingérence
qui peut être qualifiée de véritable invasion par les contenus informationnels,
et ses buts sont comparables à ceux d’une invasion par les contenus
informationnels. Le but est le renversement de l’ordre établir pour le remplacer par un
autre, qu’il s’agisse du sien propre ou d’un ordre neuf plus conforme aux
intérêts poursuivis.
Plus
discret et moins agressif, mais tout aussi efficace,
le second consiste à manipuler
directement l’adversaire,
en le transformant en audience. Le but est soit,
classiquement, de le pousser à agir dans un certain sens, soit, plus
subtilement, de déterminer son discours, de le pousser à façonner celui-ci de
la manière souhaitée. On se bat alors par les contenus informationnels pour
décider de la teneur de ceux produits par l’adversaire. Il est évident que cela
s’apparente à de la subversion, mais demeure en revanche en deçà du casus
belli : on n’envahit pas, mais on influence (ou l’on contraint) la
production de contenu adverse, ce qui équivaut à une subversion « douce »,
qui opère d’ailleurs naturellement : l’influence française dite culturelle ressortit
largement de ce dernier mode d’action.
Le contour de l’action stratégique par les contenus informationnels
établi, se pose ensuite la question de leurs méthodes d’émission quel(s) signifié(s), quels médias utiliser
pour véhiculer quel(s) signifiant(s) ? La réponse à cette question est
évidemment éminemment dépendante d’un contexte spécifique, et en particulier
des buts poursuivis. Qu’il
s’agisse d’informer, d’argument ou d’accuser –ou de désinformer, de contre-argumenter
ou de disculper -, l’essentiel est que le message soit audible et cohérent dans
l’ensemble. C’est en la matière d’ailleurs plus l’attitude de l’émetteur du
contenu que celle de son audience qui compte : c’est lorsque celui-ci
devient obsédé par le contenu non conforme au signifié qu’il souhaite
promouvoir que son action est paralysée, et pas l’inverse. Il en va de même
dans le cas d’une compétition ou d’un conflit par les contenus informationnels.
Par Patrice PASSY
Conseil en Intelligence Economique et Communication d'influence
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