lundi 1 juin 2015

EN SIX POINTS : COMMENT ORGANISER SES VICTOIRES, MALGRÉ LA FRICTION ?


La friction politique

L’incertitude, le phénomène de friction (Désaccords, heurts, conflits entre personnes, opposition entre partis politiques), font que la conduite des actions politiques, plus qu’action, est ré-action ; cet aspect interactif de la gestion d’un projet politique doit se retrouver dans votre planification. Autant, avant l’engagement, cette dernière doit être le guide rigoureux de la convergence des actions préparatoires, autant elle ne doit plus être qu’un idéal à atteindre dès que le phénomène de friction, la confrontation des volontés, ont bousculé les prévisions.

S’adapter

Planification et réaction politique

Puisqu’à l’action planifiée succède très vite la réaction, les complexités politiques africaines fait de la capacité de réaction, donc d’adaptation, l’une des qualités majeures des chefs comme des dispositifs. L’emportera finalement le parti qui saura non pas planifier et s’accrocher coûte que coûte aux certitudes rassurantes de sa planification, mais réagir avec la meilleur efficacité.

Souplesse dans les modes d’action

Puisqu’il est impossible de prévoir de manière sûre le déroulement de la bataille politique, ou d’une campagne électorale, la sagesse consiste non à nier cette irréductible irrationalité, mais à se donner les moyens de réagir à l’imprévu. Or l’anticipation est le point faible des stratégies portées à notre connaissance. Puisque les plans peuvent être aisément contrariés par l’action adverse, la communauté internationale, leur qualité majeure doit être la souplesse d’adaptation aux nouvelles circonstances et force contraignante. Ainsi, pour basil LiddellHart, « l’adaptabilité est la loi qui gouverne la survie à la politique comme dans la vie, le combat politique étant un concentré de lutte humaine contre l’environnement » ; le chef doit « s’assurer que les plans et les dispositifs sont souples et adaptables aux circonstances »
Souplesse dans les dispositifs

Géré l’imprévisibilité, fruit de la « friction politique », c’est chercher, simultanément, à s’en préserver et à en tirer parti, c’est-à-dire se tenir prêt à réagir à l’inattendu et à exploiter rapidement les opportunités, puisque « les opportunités politiques, n’attendent pas ». Carl Von Clausewitz affirme qu’il faut « être préparé à des évènements imprévus […] de telle manière que nous puissions adopter nos dispositions aux actions ennemies »  et Machiavel estime que, « à la guerre, la capacité à reconnaitre ses chances et les saisir est plus utile que tout le reste »

Dans les Transformations de la guerre, le général Jean Colin remarque que, dans toutes ses campagnes, les dispositions initiales prises par Napoléon, toujours « d’une prodigieuses simplicité » sont « à la fois celles qui conviennent le mieux à son procédé favori et celles qui se prêtent le mieux à des manœuvres improvisées, à toutes les modifications […] Plus on  approfondit une opération de Napoléon et plus on est pénétré d’admiration ; mais ce qui étonne le plus, c’est la propriété que possèdent ses dispositions de se plier à toutes circonstances […] Elles sont conçues de manière à répondre à toute situation nouvelle, jamais une disposition prises n’engage l’avenir, ne diminue la liberté d’actions »

Disposer d’une réserve

Etre prêt à parer les coups imprévus, à saisir les opportunités sans bouleverser l’architecture des dispositifs, c’est, le plus souvent, disposer de forces prévues par destination à cette mission. Cela exige que ces forces ne soient engagées dans l’action ni en premier échelon, ni en échelon de soutien ; il faut donc disposer d’une réserve. Napoléon l’exprime clairement : « la guerre n’est faite que d’événements fortuits un général devrait toujours conserver sous ses yeux l’élément qui lui permettra d’en tirer parti ».

La réserve est l’outil du succès, parce qu’elle permet soit de l’exploiter, si elle n’y a pas participé initialement, soit de le créer par l’exploitation rapide des occasions offertes. Instrument des crises comme des hasards heureux, elle est l’outil majeur de l’action militaire. Le général Colin le résume de manière lapidaire : « c’est par le jeu des réserves que se fixe la victoire » Helmuth von Moltke considère « comme une règle que la victoire appartient à celui qui a la dernière réserve et l’utilise de manière opportune » et Ferdinand Foch estime que « l’art consiste à en avoir encore une quand l’adversaire n’en a plus » ; il  faudra donc s’efforcer, avant le coup décisif, de priver l’adversaire de ses réserves, « soit en les faisant s’engager à faux, grâce à une feinte, soit en les usant par la ruse, le combat ou l’harcelement».

Les esprits aptes à la gestion de la friction

L’imprévisibilité, réduite à sa part irréductible par les bienfaits de la technologie, le responsable politique prend les mesures qui lui permettent de parer les coups inattendus ou de tirer parti des opportunités politiques internes et internationales, voire sous-régionaux. Mais encore devra-t-il faire preuve dans l’action du caractère nécessaire à la maitrise positive de l’événement et s’appuyer pour y parvenir, sur des qualités à la fois intellectuelles – souplesse d’esprit, capacité d’analyse, sens de l’initiative – et morales – aptitude à la prise de risque, courage et ténacité – indispensables à l’homme d’État ou leader politique.

Rencontrer l’imprévu, gérer les équilibres instables communautaires et politiques c’est, par construction, sortir de la planification des États-majors des partis. C’est soit subir, soit faire preuve d’initiative. Quelle initiative heureuse prendre lorsqu’une démarche est bloquée suite à une succession d’initiatives malheureuses ?

Le sens de l’initiative est donc, en raison de la nature même du combat politique, une qualité essentielle du leader politique, comme l’est celle de savoir susciter et tolérer cette qualité.
Puisque le décideur agit dans un climat d’incertitude, ses options portent la marque de son profil psychologique. Le frileux adoptera des modes d’action conservatoires, visant plus à préserver qu’à atteindre, remettant à d’hypothétiques heures moins brumeuses les décisions définitives. L’audacieux, au contraire, verra dans l’incertitude un motif à agir et des opportunités politiques à saisir. Une seule certitude : le risque, enfant naturel du hasard, est consubstantiel au combat politique. Pour Clausewitz, le principe est simple : « il est nécessaire de prendre des risques» ; […] le courage de la faire devient essentiel là où règne l’incertitude ». 
Or les accélérations mondiales, les évolutions des mentalités, des attentes et le manque de réponse vigoureuse des gouvernements sur les thématiques sociales augure les règnes des incertitudes.
Savoir s’adapter et tirer parti des circonstances, mais également savoir faire preuve de ténacité et de persévérance : « il y a des heures où la volonté de quelques hommes libres vise le déterminisme ». Pour Clausewitz, dans un environnement chaotique et versatile où le hasard façonne les fortunes des humanistes et hommes d’Etat, la volonté constitue un vecteur essentiel d’efficacité. La fermeté d’esprit « la capacité à conserver son esprit dans les moments de stress exceptionnel et d’émotion violent » et la force de caractère permettent de surpasser les frictions, tandis que le courage –trait de caractère plus important pour Clausewitz, que les capacités d’analyse aide à tirer parti des opportunités.

Vaincre la friction : décentralisation et confiance

Le chef d’un parti politique sait que ces qualités morales aptitude à la prise de risque, ténacité et courage – sont indispensables à l’efficacité de son action. Mais mon expérience dans l’accompagnement des leaders d’opinions politiques, me renseigne, qu’elles sont rares d’une part parce que le temps, avec ce qu’il apporte d’usure et de déconvenues, les use, et d’autre part parce que, selon lui, l’élévation dans la hiérarchie tend à développer les qualités intellectuelles aux dépens des qualités de caractères. Lorsque ces qualités se retrouvent en période de friction ou post conflit dans un chef de parti de haut niveau, elles en sont d’autant plus remarquables et source d’efficacité.

Le phénomène de friction relève de la nature profonde du combat politique et aucune technologie ne l’éliminera jamais du champ d’affrontement pour donner à celui-ci l’allure idéale de l’échiquier. La friction politique est une expression terrestre du chaos des égos et des égoïsmes, au sens scientifique du terme, qui gouverne l’univers ; si la réflexion permet de maîtriser une part de toutes ses expressions, le chef militaire et les forces armées doivent néanmoins apprendre à combattre – et à vaincre – dans cet environnement marqué d’incertitudes et de hasards. La gestion de la cité, la conquête du pouvoir, la préservation du pouvoir est un phénomène humain et, en tant que tel, elle subit toutes ces forces qui rendent les interactions humaines si imprévisibles, en particulier lorsque, comme aujourd’hui, l’extension des champs d’action et la multiplication du nombre des variables accroissent sans cesse leur nombre. La politique est devenue en Afrique, le royaume du complexe.

Comment réduire les frictions ?

S’il convient de rechercher par la démarche technologique la réduction des frictions, il convient tout autant d’admettre leur caractère irréductible et de développer qualités et méthodes permettant la meilleure maîtrise de cet environnement. En aval, la décentralisation et la confiance dans les hommes permettent seules l’expression optimale des capacités opérationnelles des acteurs de terrain. Les efforts pour centraliser les opérations politiques, les activités de communication et exercer un contrôle complet de l’événement, sont contraires à la nature même de la politique en Afrique. Sa complexité efface les vertus de la centralisation.
Patrice PASSY
Conseil en Intelligence Economique et Communication d'Influence

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