la problématique de l’intelligence économique française en Afrique de 2015 à 2025.
À
la tête de l'Agence française de développement (AFD) depuis un an et demi, Anne
PAUGAM a défini les priorités de l'institution à travers un exigeant contrat
d'objectifs et de moyens, dans le journal Jeune Afrique du 14 janvier 2014, en ces termes «Dans
le cadre du contrat d'objectifs et de moyens défini par le gouvernement
français pour 2014-2016, nous avons opté pour une vision intégrée du
développement : nous cherchons à améliorer les choses sur les plans économique
et social en tenant compte de l'environnement. Ainsi, la moitié de nos
investissements doit avoir un impact sur le développement socio-économique,
mais aussi sur le climat, en matière d'adaptation ou d'atténuation. »
Plusieurs
décisions et mesures des acteurs économiques, me font
dire que le modèle économique actuel de la décision publique française montre
des signes de fatigue en Afrique. En cause, cette tendance répétée de proposer
des solutions de confort en lieu et place d’un business model national
pour l'Afrique francophone intégrant les systèmes de besoins et
attentes des pays et marchés cibles. Le modèle économique actuel de la décision
publique est caractérisé par la modestie des investissements du fait des
politiques suivies depuis les décennies 1990 de désengagement de la puissance
publique. La question de l'efficience de ce modèle économique de la décision
publique et sa capacité à intégrer l’ensemble des externalités africaines,
ainsi que les développements endogènes liées, va donc être posée par la
problématique de l’intelligence économique française en Afrique de 2015 à 2025.
Pourquoi
?
Parce
que l'accélération de la concurrence des émergents, est comme un
réactif dans un laboratoire, qui met en lumière les retards français dans la
course au maintien de son leadership. L’intelligence économique
franco-africaine devait avoir pour axe principal de réflexions-actions la
réponse aux questions :
- comment fonctionnent et se développent les
nouvelles dynamiques endogènes des économies africaines ?
- Comment s'intégrer et
intégrer le business model français de 2015 à 2025 ?
Parce
que la France est le seul pays du monde occidental à disposer d'une zone
géographique dans laquelle elle influence (hard power) et
rayonne (soft power). La Chine influence, mais ne rayonne point,
idem pour les USA qui influencent, mais ont du mal à rayonner en Afrique
francophone. Pour être et durer après la colonisation, la France a organisé son
rayonnement et son influence, grâce à quatre outils d'influence:
- l’aide (au
développement, économique),
- la coopération (scientifique,
militaire, politique, universitaire, économique, policier, culturel...),
- la
monnaie (franc CFA) et
- la langue française, tout
en sacralisant dans son pré carré des rapports asymétriques. Ces mêmes outils
ont été recyclés avec efficacité pendant la guerre froide (1960-1990) et
après (1990-2014).
Parce
que les paradigmes post-coloniaux deviennent inopérants ou très peu performants.
Ces paradigmes sont:
- l’aide bilatérale et multilatérale comme outil de
diplomatie économique et d’influence
- les accords
d’indépendance (de coopération et militaire) comme outils de
préservation des intérêts stratégiques français et de l’élite locale,
comme outil de coercition.
Par ailleurs, la philosophie qui sous-tend les
processus économiques de rente et de coopération n’a pas permis pendant
longtemps de favoriser de véritables transferts de compétences, la construction
d’autonomies authentiques et pertinentes favorisant ainsi, le maintien
d’une demande toujours renouvelée d’assistance, en lieu et place de l’émergence
de véritables partenariats.
DB
CONSEILS a mis en place au sein
de son cabinet une cellule-riposte avec pour objectif
clair de présenter dans trois mois, un
document cadre sur les nouvelles stratégies d’influences franco-africaines
et de coproductions des connaissances et de développement afro-françaises.
En
clair, il s’agira de répondre à la question : comment faire émerger les
nouveaux concepts dominants qui vont orienter et jalonner le parcours des
nouvelles coopérations franco-africaines et afro-françaises de 2015 à 2020.
Pourquoi
?
Parce
que si nous ne prenons garde, malgré le fait que la France soit une
hyperpuissance culturelle dans le monde francophone, cet héritage historique ne
saurait suffire et commence à se diluer par les effets mécaniques de la
mondialisation. Pour la simple raison que la France n’a pas orchestré la
mondialisation en Afrique, mais l’a subie de manière progressive et
inéluctable.
Première
urgence : faire face à l'obsolescence créative
Dans
la globalisation actuelle le retard africain va devenir un avantage économique
car, les derniers risques d’être les premiers. Les nouveaux arrivants
supplantent toujours les premiers (cas du Japon après la seconde
guerre mondiale, de la Corée du Sud dans les années 70 et de la Chine et
du Brésil à partir des années 2000).
Que
pourront représenter 72 millions de français en 2050 face à 2 milliards 400
millions d’africains. En tout point, la donne aura changé; en sommes-nous
conscients ?
Cette
perte de l'enthousiasme conquérant des secteurs privé et publics français empêche
tout phénomène de codéveloppement économique en grappe en Afrique francophone.
Dans les vingt pays les plus pauvres au monde, onze sur dix sept ont toujours
été en Afrique francophone et cela dans toutes les études (OCDE,
PNUD, Doing Business, Banque Mondiale…).
Cette
perte est inhérente à un facteur culturel français qui s’exprime et se traduit
dans les relations économiques, par des propositions axées autour des
stratégies économiques de rente (extraction des matières premières
et gestion des intérêts en lien) dans une logique de rente. Cette
logique rentière a fait perdre au génie français en Afrique l’enthousiasme
conquérant, le goût du risque, l’innovation créative et le cantonne au
réductionnisme technologique tant dans les transferts que dans les
coopérations.
Je
prends l’exemple pour illustrer mon propos du Nigéria qui s'est tourné vers la
Chine pour disposer de son premier satellite avec un service après-vente
intégré. Les pays d’Afrique francophones réunis (UEMOA et CEMAC) ne
disposent toujours pas, 50 ans après les indépendances, de satellite tant
individuellement que collectivement.
Deuxième
urgence : la revitalisation de l’intelligence interculturelle française
Face
aux émergents, face aux légitimes aspirations de bien-être des peuples
africains et pour conserver la chaîne de valeur française, il est temps de
prendre définitivement conscience du caractère peu performant des paradigmes post-coloniaux en Afrique. Cette prise de conscience obligera les élites
françaises et africaines à réinventer la relation franco-africaine et
afro-française en situation. En d'autres termes, réussir à épouser de manière
pragmatique et non émotionnelle, les nouvelles courbes africaines et les contingences
françaises. Réinventer en situation, veut dire que les solutions proposées
actuellement ou le bouillonnement observé par-ci par-là (CIAN,
MEDEF, CCIP, MAE, GPEME) sur la mosaïque des opportunités commerciales
que présentent l’Afrique actuellement, sont des continuités de paradigmes
anciens et non le bénéfice d'une revitalisation de la pensée
franco-africaine et afro-française, intégrant l'urgence des temps (politique,
économique, militaire, religieux, culturel...) et des mutations
continues dans le contexte où elles se développent.
Pourquoi
revitaliser l’intelligence interculturelle française ?
Parce
qu’en l'état actuel des choses, le retard africain devient un avantage pour la
simple raison que la situation monopolistique que la France tente de conserver,
tant bien que mal, par tous les moyens est la preuve, à mon humble avis, d'une
obsolescence créative, se traduisant, et je me permets de le répéter, par une
perte de l'enthousiasme conquérant. L'histoire économique nous
enseigne, que ce sont souvent les retardataires, les nouveaux arrivants, qui
font preuve de cet enthousiasme, de ce dynamisme dans l'innovation,
l’adaptabilité, et la créativité.
L'obligation
d'une revitalisation de l'intelligence interculturelle franco-africaine et
afro-française, doit se traduire par :
- une densification de l'offre française de codéveloppement économique, (délocalisation
industrielle, co-création de nouvelles entités de productions locales,
transfert de basses et moyennes technologies…),
- une massification des points de convergence d'intérêts et de
mutualisation des compétences afro-français dans toute la chaîne de
production des connaissances et des valeurs.
La France a,
par rapport aux économies africaines en phase de pré-industrialisation et
en industrialisation, un handicap dû à son développement et à la structure même
de son économie : elle propose aux États africains, une offre performante et de
haute technologie pas toujours adaptée à la demande de basse et moyenne
technologies des économies africaines. A elle seule, la maîtrise du savoir-faire technique n’est
plus suffisante pour emporter la décision sur des marchés complexes où une
multitude de paramètre entre en ligne de compte. Les entrepreneurs français
doivent s’adapter aux exigences du marché, savoir écouter les desiderata des
prospects. La crise économique actuelle ainsi que l’exacerbation de la
concurrence des émergents et le nouveau système de besoins et attentes des pays
africains vont créer un processus de sélection naturelle. Les entreprises qui
parviendront à suivre et à absorber la charge des émergents et des exigences
locales devront trouver de nouveaux relais de croissance (hors pétrole
et matières premières) donc fonctionner différemment. Il s’agit de
proposer aux acteurs économiques locaux des réponses faciles et des solutions
peu onéreuses à mettre en œuvre. Les émergents en Afrique ont fait preuve de
simplification, de persuasion et même d’influence en s’appuyant sur des offres
adaptées et conformes aux besoins des clients finaux avec pragmatisme.
Troisième
urgence : Intégration de l'offre française dans les économies africaines et non
addition
Dans
le scénario industrialisant, les pays africains, attendent et réclament des
délocalisations pour organiser le transfert de technologies et une réelle prise
en main de l’émergence économique. La France a-t-elle la volonté manifeste de
dépasser le réductionnisme technologique ?
Les
pays africains mettent l’accent non sur l’accumulation quantitative de
technologies, mais sur leur intégration dans une approche globale - qualifiée
d’holistique – du développement et de la planification économique à long terme.
Ces pays n’ont pas la technologie, mais ont une vision stratégique et politique
du développement économique. C’est une approche classique des stratégies de
rattrapage technologique qui fait du retard un avantage, comme
l’a théorisé Alexander Gerschenkron dans son ouvrage de 1962[i].
Ces pays peuvent marier une technologie traditionnelle qu’ils commencent à
maîtriser et rechercher les synergies avec une technologie nouvelle importée.
L’archétype de ces stratégies de rattrapage à long terme est la stratégie
chinoise qui est en train de passer du « made in China » au «
innovated in China »[ii] de
plus en plus tirée par le marché intérieur,
Il
est plus qu'urgent dans une logique d'offre de codéveloppement
économique, de co-production, des compétences, de connaissance et
d'information, que la France propose des offres globales pragmatiques, c'est à
dire, une offre intégrée et non des réponses française aux besoins africains
par bloc. Face à la concurrence des émergents et des besoins légitimes pour
leur émergence, les pays africains francophones attendent une réponse
économique systémique française, axée autour de l’intégration économique. Il
est intéressant de noter que, pour la première fois, les peuples africains vont
demander aux acteurs économiques français, de s'intégrer dans leurs attentes.
Car, les africains formulent leur stratégie d’émergence en termes de
développement à long terme et pas seulement en termes de débouchés commerciaux
comme le fait la France.
Cette
stratégie est cohérente avec l’état de l’art de l’économie de l’innovation : le
capital matériel est mobile – donc copiable - tandis que les actifs immatériels (la
connaissance, le savoir-faire, le capital social) sont enracinés dans
un territoire et peu mobiles, donc devant être reproduits de manière endogène,
par apprentissage, à partir des spécificités historiques du capital social du
territoire. Les compétences sont de nature idiosyncratique, c’est-à-dire
qu’elles sont propres à un contexte, voire une organisation, et difficilement
déployables dans un autre. On peut copier une technologie, pas une compétence.
Celle-ci doit se recréer en contexte par un long processus d’apprentissage
endogène au pays et au territoire d’accueil. Elle dépend d’une culture
technologique qui est elle-même fonction d’un capital social.
Il
nous faut à tous penser intégration économique afro-française et non
préservation des intérêts français en Afrique. Il faut pour cela partir des
usages, des besoins, des attentes, des demandes, mais pas d'une stratégie
mercantile qui se bornerait à ne voir l'Afrique que comme un marché
d'écoulement de produits français.
Intégrer
les deux approches
DB
CONSEILS riche de sa longue expérience franco-africaine, propose une
intégration des deux approches africaine et française en associant les
entreprises, les universités et la volonté politique.
Pour
cela, DB CONSEILS travaille à une gestion de la densité, tant des offres
que des politiques. Il nous faut remastériser la carte-mère culturelle,
économique voire individuelle française. Les pays d’Afrique francophone ont de
manière certes incohérente, une stratégie basée sur l’intégration des
technologies existantes qu’ils peuvent se procurer dans les pays industrialisés,
tandis que ceux-ci en général et la France en particulier ont des stratégies
basées sur l’exportation. D’un côté des stratégies intégratives à moyen terme
des pays africains qui dominent la demande dans l’espace francophone africain,
de l’autre côté des stratégies addititives à court terme des entreprises
françaises qui dominent l’offre.
Nous
élaborons la proposition d’un cadre de référence commun basé sur le
développement de la modélisation systémique permettrait de rééquilibrer cette
inversion probable de leadership dans 20 ans au profit des pays africains.
En
conclusion, comment définir le schéma d'organisation de l'offre
systémique de codéveloppement économique afro-française et franco-africaine ?
Du
point de vue français
1- Cartographier les intégrations
françaises aux économies émergentes africaines ;
2- Définir un business model national
pour l'Afrique francophone intégrant les systèmes de besoins et attentes des
pays et marchés cibles;
3- Établir des méta-règles de conception de la démarche française et africaine
4- Mettre en place une charte nationale
de fonctionnement, d'organisation et de travail dans les rapports économique
entre la France et les pays africains;
Du
point de vue Africain (par pays et organisation sous régionale UMOA et CEMAC)
1. Recevoir des pays africain, de manière individuelle,
un business model national qui intègre le système de besoins et d'attentes
français
2. Établir des méta-règles de conception de
la démarche africaine par pays et organisation sous-régionale
3. Mettre en place une charte nationale de
fonctionnement, d'organisation et de travail dans les rapports économique entre
le pays africain et la France
C'est
un challenge intellectuel, économique, financier et culturel lourd, mais qu'il
nous faut relever car, les peuples africains attendent beaucoup du savoir-faire
français, même si la France n'a pas un mandat spécifique et manque actuellement
de ressources. Pour ne pas arranger les choses, la loi de Finances
rectificative adoptée par l'Assemblée nationale française le 1er juillet 2014
prévoit une baisse de 2,5% de l'aide publique au développement et une coupe
plus sévère encore de 10% au cours des trois prochaines années. Les députés
français ont adopté le 1er juillet par 307 voix contre 232 le projet de loi de
Finances rectificative pour l'année 2014. Le texte prévoit une coupe de 73
millions d'euros dans l'aide consacrée aux pays en voie de développement, ce
qui ramène l'enveloppe française à un montant total de 8,3 milliards d'euros.
Les africains attendent beaucoup des français, mais les français ne sont pas au
courant, faute d'une vision stratégique française conquérante
suffisamment au fait des spécificités africaines en pleine mutation.
En
2015, les africains, pris individuellement et collectivement, raisonnent
en perspectives (j'en veux pour preuve la floraison des politiques
d'émergence économique), qui sont loin d'être des slogans de
communication politique, mais une vision du rattrapage économique africain
avant 2050 avec ou sans la France.
[i] Economic backwardness in historical perspective
(1962) : Gerschenkron montre que le développement ne suit pas une trajectoire
linéaire, contrairement au modèle par étapes de W.W. Rostow, mais peuvent faire
du retard un avantage sous les conditions suivantes : une stratégie institutionnelle
de l’Etat qui draine le capital physique et humain, la priorité au capital
productif sur les biens de consommation et sur l’économie de main-d’œuvre,
l’emprunt des technologies des pays avancés, priorité aux gains de productivité
et aux activités à rendements croissants par rapport aux activités à rendement
décroissant.
[ii] Intervention du professeur Wu Zhiqiang,
vice-président de l’Université Tongji, au séminaire sur les smart cities,
Shanghai, oct. 2014