Tout est secret en Afrique : posons-nous la question, qu’est-ce que c’est ?
C’est ce qui n'est pas connu de tous, qui doit rester confidentiel. L’ignorance en Afrique constitue la plus grande part du secret. L’année 2016 est pleine de défis et d’incertitudes, la maîtrise et gestion du secret donne à ses gestionnaires un avantage stratégique, concurrentiel, opérationnel évident. Les africains adorent tous ce qui est secret, magique, caché, et tout ce qui n’est pas compris relève des anciens et des dieux. Nous allons aborder un sujet qui fait peur, dérange et fascine en même temps : le secret
En politique, il actionne le pouvoir, donne sens et garantit l’activité du pouvoir. Il conditionne le bon déroulement de l’action des gouvernants. Le secret en général dévoile les questions qui dictent l’agir, le vivre ensemble et la « coexistence pacifique » des acteurs politiques, agitent l’opposition, et met en lumière les raisons qui motivent le choix des politiques et de leur traitement par les gouvernements. Un secret (du latin secretus) est donc une information, ou un savoir qui se trouve soit caché (voir sens moderne) soit inaccessible
Qu’en est-il du secret politique ?
En Afrique francophone, le secret politique donne un sens et garantit l’action du pouvoir. Il constitue la modalité par laquelle un pouvoir s’installe dans la durée et génère un sentiment de puissance chez ceux qui y participent (famille présidentielle, membres du clan, amis de lutte, courroie de transmission stratégique, etc…). Il configure ce qui distingue une communauté, une tribu, une province des autres communautés, tribu, provinces en gérant le conflit. Il est devenu l’arme la plus coûteuse d’un nouveau type de guerre tiède et clair-obscur. Le secret politique contribue à traverser les frontières des normes, des lois et règlements en réduisant les libertés individuelles et en accroissant celles d’un pouvoir de mieux en mieux renseigné.
AU CŒUR DES PRÉSIDENCES : LE SECRET – AU CŒUR DES RÉSEAUX ET DES POLITIQUES : LE SECRET
Théorisé à l’orée de la modernité, le secret entretien originellement un lien consubstantiel avec l’avènement du politique. Il lui donne sa définition, un rapide détour historique s’impose.
Dans les sociétés primitives africaines, les anciens avaient fait le choix délibéré de neutraliser tout pouvoir, ne laissant au chef que le soin de répéter la loi des ancêtres et non celui d’exercer une parole de commandement. Cette parole première, qui disait son impuissance, vide de tout pouvoir, va se renverser en son contraire. L’origine historique en est inconnue, sinon qu’un individu (le sorcier, le Nganga, le féticheur) va prétendre détenir un pouvoir de communication supérieur à tous les autres. Il se veut le médiateur entre un Autre (la divinité) et un invisible et un visible. Ce détour par l’anthropologie nous introduit au cœur d’une configuration communicationnelle à partir de laquelle peut naître le politique. Plus qu’un monopole de la parole légitime, il s’agit de la détention d’un secret. Le médiateur entretient une communication secrète avec la divinité. Il pourra se dire inspiré par elle et en contrepartie, il se différenciera, pour mieux la commander du reste de la communauté. Le secret est étymologiquement lié à ce foyer de commandement. Il sépare une instance, il est le refus de l’unité originelle. Il aide également à comprendre la naissance concomitante du sacré : secretus et sacer désignent ce qui est séparé.
Evolution du secret à travers l’histoire
L’invention de l’Etat, tel qu’il se développera en Occident, prend sa source dans ce processus communicationnel. L’Etat ne sera que la manière de désigner un pouvoir séparé, dont la légitimité repose sur une capacité à participer du secret de la volonté divine, bientôt de la Nature et d’en être le lieutenant sur Terre.
Mais la théorisation par la Réforme et la Contre-Réforme d’une théologie du « Dieu séparé » va obliger l’Etat à trouver en lui-même sa raison d’être. Ne pouvant plu se prévaloir d’une communication secrète avec le Tout-puissant, il s’approprie, à partir du XVIè siècle, outre l’idée de souveraineté (clôture vis-à-vis de l’extérieur et suprématie à l’interne), celle d’une raison qui lui est propre. La raison d’Etat n’est autre que la détermination d’un intérêt dont seul, dans le secret de son conseil, le prince a connaissance et pouvoir de définir. Il s’agit d’une métabolisation de l’ancien processus du secret : le secret de l’Etat ne désigne plus une communication ouverte en amont sur une transcendance, mais se loge en aval au cœur du foyer politique.
Depuis, l’âge démocratique n’a fondamentalement rien changé, si ce n’est que cette configuration a déterminé la mise en place ultérieure d’une autre rationalité communicationnelle : la politique. Comme autant d’électrons autour du noyau dur, sont venues s’agréger des médiations chargées de retranscrire la parole qui sépare la société civile de l’Etat, l’Etat étant souvent confondu avec le parti au pouvoir, donc la majorité présidentielle de l’opposition.
Or, pour bien comprendre le rôle du politique en Afrique, il s’agit ici de se concentrer sur le processus de communication inhérent à sa structuration et dont on va voir que le secret forme, jusqu’à aujourd’hui, l’armure principale. Il caractérise au plus profond le mode par lequel une communauté dispose d’une autonomie et d’une réflexivité de son action politique. Le secret est le noyau dur du politique : il donne sens au pouvoir, encadre le conflit et se loge au cœur des normes.
Comment le secret actionne le pouvoir en Afrique francophone ?
Le secret donne sens et garantit l’activité du pouvoir. Il conditionne le bon déroulement de l’action des gouvernants. Le secret des conseils, des brains trust (dont le conseil des ministres est un exemple type), constitue la source de toute décision. Il est un gage de prudence et d‘intégrité d’exécution des choix qui y sont décidés. Il permet de circonscrire l’espace de commandement. La présence d’un exécutif renforcé au sein de nombreuses démocraties témoigne de ce souci indépassable d’inscrire le pouvoir dans l’efficacité mais surtout dans la durée. De plus, le secret permet au pouvoir de composer avec cette durée et d’être en phase avec ce qui surgit, avec l’événement. En même temps qu’il établit le pouvoir dans une logique du temps long, un gage sur l’avenir.
Le secret est la clé qui donne accès à l’inattendu où le pouvoir se doit d’être imprévisible. Le secret s’incarne dans la « carte gardée » dont Nixon faisait le critère de réussite de toute action interne comme externe.
Le secret constitue un puissant facteur d’identification et de hiérarchisation. Il invite ceux qui en sont exclus à un décryptable de principe. Il donne sens à un ensemble de médiations (presse, syndicats, partis, association, etc.) qui ont pour tâche de graviter autour du secret d’Etat afin de la débusquer ou de s’y calquer avec plus ou moins de réussite.
A l’inverse, il offre la sensation à ceux qui le partagent de participer à la puissance (famille présidentielle, membres du clan, amis de lutte, courroie de transmission stratégique, chasseurs de budget, anarcho-profito-situationnistes, etc…). Le pouvoir doit être rattaché à la capacité humaine à se concevoir comme un être de puissance, sur soi-même, sur les autres ou sur le monde. Le pouvoir constitue donc une modalité par laquelle l’homme met en place un collectif et possède une prise sur ce tout. Qu’à l’intérieur de ce collectif, l’homme soit un commandant ou un assujetti importe peu, car le fait même de l’existence d’un pouvoir implique que l’homme participe de l’institution de son monde. C’est là la clé de l’obéissance au pouvoir, car y consentir c’est encore participer au pouvoir comme puissance.
Secret et politique en Afrique
Au regard de la technicité du gouvernement, le secret permet la constitution de réseaux, notamment d’experts ou de la fonction publique, qui œuvrent en vue du prétendu intérêt général. Ce dernier est à rapprocher de cet intérêt de la raison d’état qui transcende ceux qui l’incarnent. Il rejoint également ces « intérêts fondamentaux de la nation » dont les atteintes sont sévèrement sanctionnées. Ces intérêts forment la limite de la curiosité publique et sont soumis, pour la majeure partie d’entre eux, à des procédures secrètes. Reste essentielle la livraison d’informations à une puissance étrangère (où il n’est fait mention, dans cet encadrement législatif, que du secret de la défense nationale).
Ce dernier symbolise le fait que « le » politique continue de transcender le droit mais également « la » politique. En effet, le secret de la défense nationale constitue l’ultime paravent derrière lequel se protègent les fonctionnaires et autres experts de la puissance publique.
Le problème est quasi-identique en ce qui concerne un hypothétique regard des citoyens sur l’agissement des services secrets. La même opacité règne devant la prolifération des instances mais également quant aux « fonds spécieux ». Si le secret conforte la structuration interne du système politique, il permet également de distinguer une communauté de l’extérieur et de gérer ce qui est au cœur de ces relations internationales : le conflit.
Le secret : maniement et manigance du conflit
La capacité humaine d’institution et de puissance propre au domaine politique implique originellement une hétérogénéité des collectifs. L’espèce humaine se présente sous la forme de communautés plurielles qui se savent distinctes. Leur autonomie désigne une unité interne, non pas donnée comme un fait, mais activée en permanence afin de se différencier de l’extérieur. C’est ici que la virtualité du conflit vient se loger. Le système politique, fermé sur lui-même, reste cependant ouvert sur le dehors qu’il va désigner sous le nom de l’ennemi ou de l’allié. Les démocraties africaines semblent sortir de l’état de guerre fratricide permanente pour accéder à un règlement à géométrie variable des intérêts en conflits. En place et lieu de ce fait, se substitue une suspicion généralisée sur les agissements occultes du parti au pouvoir, de l’allié comme de l’ennemi politique (en Afrique l’adversaire politique n’existe pas). Elle se traduit par le développement des méthodes de surveillance et de contrôle, etc…, à des fins de délation.
Le secret est devenu une arme contre les citoyens
Goebbels affirmait que « celui qui sait tout n’a peur de rien », il s’agit de faire croire au peuple, à l’autre que le pouvoir sait tout. La parade retrouve son sens originel : démonstration visible de la force. Plus on a des secrets, du moins de documents enregistré en tant que tels, plus la majesté de l’action étatique s’y affirme. Le secret constitue donc un outil stratégique dont les modalités d’emploi se perfectionnent à tel point que les Etats se plaisent à mettre en scène leur secret-défense. L’ultime limite de la surexposition contemporaine réside bien dans le secret et la soi-disant transparence n’est autre qu’une transparence.
La population constitue le second objet d’investigation étatique. En parallèle de la logique hygiéniste, se déploie une logique sécuritaire dont le secret forme l’armature. L’Etat s’immisce de plus en plus dans la vie des groupes ou des individus, les siens ou les autres. Le procédé requiert plus ou moins de lisibilité et c’est précisément là qu’il a le plus de rapports avec les normes et les lois.
Le secret témoigne de l’empiétement permanent du pouvoir
Le secret trace les frontières des normes. Le secret de l’Etat sert de modèle, comme de garant à d’autres secrets disséminés dans la société civile. Il tolère des zones d’obscurité afin que l’individu dispose de son intimité. Mais on remarque une tentation constante de l’Etat en Afrique à ne pas en tenir compte.
Les polémiques à propos des services de renseignements, celles concernant la numérisation et la mise en réseaux croissantes des données, les contrôles policiers, administratifs qui succèdent à la pratique généralisée du contrôle social, témoignent de l’empiétement surveillant du pouvoir.
Le secret est intimidant
L’existence d’un secret au noyau de l’organisation sociale fait que l’africain intériorise cette pratique et la fait sienne. On assiste à une auto-dissuasion, où le secret se diffuse dans l’africain qui se considère comme un être « politique ». Pourtant, il semblerait que le secret soit partout en Afrique (à l’église, dans les loges, et la vérité ailleurs. Il est tout de même constitutif de l’autonomie individuelle, de ce qui peut se réprimer ou se franchir.
Confronter le secret politique avec les exigences démocratiques de l’Etat de droit nécessite de nouvelles orientations.
L’Etat, à l’avenir, ne pourra que s’en montrer jaloux ou amorcer véritablement sa « neutralisation terminale ». Ces deux crispations possibles feraient tomber inévitablement l’Etat soit dans la technologie du soupçon, soit dans le dépérissement de son rôle de surmoi, ouvrant dès lors la voie à une tyrannie du social sur lui-même, des sous-systèmes sociaux les uns sur les autres.
Si le secret peut entretenir un rapport avec le droit c’est parce que l’existence politique suppose un ensemble de normes explicites, définies en dehors des acteurs et fonctionnant comme des contraintes. L’autonomie se décline ici dans une extériorisation des règles et dans leur formulation à distance. Par une instance de pouvoir, différenciée de tout autre, la communauté s’affirme comme volonté, comme devoir-être et se donne une référence à laquelle tous les agents peuvent se rapporter.
En 2016, le village planétaire pose problème au secret. Le secret politique avec les exigences démocratiques de l’Etat de droit nécessite de nouvelles orientations.
Il s’agit, en premier lieu, d’instaurer des contre-pouvoirs, en nombre limité, qui peuvent prendre la forme d’autorités administratives indépendantes, à condition d’y incorporer de éléments de la société civile et pas seulement des parlementaires (d’autant plus si ces derniers sont généralement des griots). Les pays africains accusent un retard désolant en ce domaine.
Il faut mettre en place une culture du renseignement afin que les individus observent un rapport critique aux modalités instillées par le secret dans le système de communication politique. La technologie n’est pas neutre, ses techniciens comme ses praticiens ont besoin d’être responsabilisés. On ne saurait cesser d’encourager ceux qui permettent la protection par l’individu de son intimité. Au niveau national, il est peut-être temps d’introduire des procédures de civilité.
Patrice PASSY
Consultant en Intelligence Economique et Communication d'influence