L'UE et l'Afrique sont en train de
signer des accords de libre échange commercial mais hors matières premières
pour pénétrer les marchés européens, il
faut que les produits correspondent aux normes d'hygiène et de sécurité. Les
pays africains sont-ils prêts à relever le défi ?
Patrice PASSY -
Consultant en Intelligence Economique
La situation actuelle

Les intérêts en présence : l'Union
européenne
L'Union Européenne, en tant qu'acteur
et initiateur du mouvement de partenariat économique, ne peut tirer de la
signature d'un APE avec l'Afrique que des avantages, d’où l’impatience face à
la montée en puissance de la Chine, de l’Inde, du Brésil. Il semblerait en
effet que la signature d'un APE avec les pays ACP soit économiquement,
culturellement et politiquement très intéressée de la part de l'UE.
·
Tout
d'abord, cela redorerait sa position dans le système international étant donné
que les APE constituent des instruments commerciaux tout à fait innovateurs en
ce qui concerne la coopération commerciale Nord-Sud.
·
Deuxièmement,
la signature d'un APE représenterait un moyen parmi d'autres pour l'Union
Européenne de mettre en avant ses bonnes volontés en matière de gouvernance et
de développement socio-économique, disposant ainsi d’un moyen de pression
politique efficace.
· Enfin,
la mise en place d'un APE régional avec notamment l'Afrique de l'Ouest
constituerait une excellente façon pour l'UE de maintenir sa présence et son
poids à la fois culturel et économique en Afrique.
L'accord
de partenariat économique en cours de négociation avec les pays ACP devrait
modifier en profondeur le régime commercial jusqu'alors en vigueur entre
l'Union Européenne et les pays ACP. En effet, la coopération commerciale entre
l'Union Européenne et les ACP tire ses origines des Accords de Yaoundé
(Cameroun). Ces accords ont été négociés dans la foulée des décolonisations.
Ils visaient à prolonger les relations commerciales privilégiées entre les
puissances coloniales et leurs anciennes colonies. Ils permettaient donc de sécuriser
l'approvisionnement de l'Europe dans certaines matières premières tout en
sécurisant les débouchés des anciennes colonies. Ces accords ont été suivis par
les Conventions de Lomé signées pour la première fois en 1975. Quatre
Conventions se succéderont afin d'adapter la coopération entre la CEE, à
l'époque, et les pays ACP aux variations du système mondial. Ces Conventions ont
avant tout cherché à promouvoir des relations privilégiées entre les deux régions
mais en affirmant vouloir bâtir un nouvel ordre économique international. Le
régime commercial alors instauré, s'est appuyé sur des concessions commerciales
accordées par la CEE aux pays ACP alors même que, les marchés des pays
industrialisés restaient, à l'époque, très protégés par des droits de douane.
Les pays africains
sont-ils prêts à relever le défi ?
Patrice PASSY -
Consultant en Intelligence Economique
La
question centrale à laquelle l’Afrique devrait répondre avant de s’engager dans
un accord commercial de libre-échange avec la première puissance commerciale du
monde, quel que soit le niveau d’asymétrie, de réciprocité, les programmes
d’accompagnement ou l’assistance financière promis, est de savoir si ses structures de production industrielles sont suffisamment
matures pour s’ouvrir définitivement à la compétition avec l’Europe ; si
son agriculture est prête pour ce niveau de libéralisation ; si son secteur des
services peut se payer le luxe d’être ouvert à l’Europe dans un contexte où les
régions du continent n’ont même pas encore de réglementations communes dans de
nombreux domaines ?
Pourtant,
un dirigeant du continent y a déjà apporté une réponse satisfaisante à laquelle
nous devrions prêter attention : « les nouveaux accords de partenariat
économique prétendent démanteler les protections tarifaires et instaurer une
parfaite égalité de compétition entre des économies européennes et africaines
totalement asymétriques. En clair, cela revient à consacrer et accentuer un
déséquilibre de fait et à livrer totalement les marchés africains aux produits
européens subventionnés. Non seulement l’industrie africaine n’a pas la
capacité et les structures qui lui permettraient de répondre même à une forte
demande européenne, mais ce nouveau dispositif de désarmement tarifaire imposé
par le libre-échange entraînerait immédiatement d’énormes pertes de recettes
douanières pour nos pays : or les recettes douanières constituent entre 35 % et
70 % des budgets des Etats africains. Selon une simulation du Centre d’étude et
de recherche sur le développement, entre 2008 et 2015, les pertes de recettes
fiscales du Sénégal, si notre pays adopte ce système, passeraient de 38 à 115
milliards de francs CFA. Récemment, le président du Nigeria, opposé aux APE,
m’indiquait que son pays perdrait près de 800 millions d’euros par an » Président Abdoulaye Wade, in
Passerelles, Vol. VIII n° 5, Nov-Dec 2007.
Hors matières premières,
dans quels secteurs l'Afrique pourrait avoir un avantage comparatif par rapport
aux produits manufacturés en Europe ?
Patrice PASSY
- Consultant en Intelligence Economique
