Partenariat économique et développement : Comment faire face à l’importance croissante de l’influence
normative en Afrique ?
Patrice PASSY
Directeur
associé de DB CONSEILS
Conseil
en Intelligence Economique et Communication d’influence
Ancien
conseiller de Premier Ministre
13 ans
d’expérience internationale (Paris, Bruxelles, Shanghai, Vienne,
Johannesburg, Abidjan, Brazzaville, Pointe-Noire, Cotonou, Kinshasa, Douala,
Dakar….)
La guerre des normes en Afrique
L’Afrique
en général est aujourd’hui régie par
des règles et normes presque intégralement européennes et internationales, qui
évoluent sans cesse. Ces régulations de toutes natures déterminent les marchés africains
et fixent des types de gouvernance de leur organisation. Les normes en Afrique
ne sont jamais innocentes, que leurs auteurs cherchent à devancer la
concurrence, à la freiner, ou à exporter des contraintes, elles participent à
l’atteinte des objectifs fixés par la guerre économique que se livrent les
puissances du monde dans leur course au leadership en Afrique. Les régulations
peuvent faciliter les affaires des multinationales ou au contraire, limiter les
accès à des pays dans leur zone de confort économique (la zone franc par exemple). Elles transportent des approches
techniques, financières, juridiques, de gestion et d’éthique qui favorisent ou
défavorisent les autres intervenants sur ce marché. L’influence sur ces règles
du jeu internationale est une composante essentielle quoique peu visible de la
compétitivité de leur entreprise et des États. Elle est aussi une composante du
soft power, des puissances économiques, cette
attractivité des États qui peu à peu pénètre les esprits-cibles et forge les
opinions nationales.
Promouvoir la protection de ses matières premières, protéger l’accès à ses marchés, contribuer à définir un socle de travail commun pour mieux conquérir de futurs marchés, orienter les débats en faveur de ses propres enjeux dans les accords de partenariats économiques et financiers, promouvoir sa culture au sein de l’exception culturelle française: utilisée à bon escient, la normalisation constitue un précieux outil d'intelligence économique, à la fois offensif et défensif.
Promouvoir la protection de ses matières premières, protéger l’accès à ses marchés, contribuer à définir un socle de travail commun pour mieux conquérir de futurs marchés, orienter les débats en faveur de ses propres enjeux dans les accords de partenariats économiques et financiers, promouvoir sa culture au sein de l’exception culturelle française: utilisée à bon escient, la normalisation constitue un précieux outil d'intelligence économique, à la fois offensif et défensif.
La montée en puissance de la mondialisation a permis l’émergence
et la diffusion de problématiques économique, géoéconomique, géostratégique,
environnementale, financière, normative dans les sociétés africaines. L’émergence
de la « question de la marchandisation du monde » dans l’espace public des
sociétés africaines est au XXIe siècle ce qu’était la « question sociale » au
XIXe siècle en Europe, à savoir le nœud conflictuel où se concentrent toutes
les contradictions du développement économique et social des pays africains.
Considérée globalement, la prise en compte des enjeux normatifs mondiaux par
les pays africains semble aller de soi au sein des exécutifs, au point d’être
rarement mise en débat tant sur le plan technique que stratégique. Cependant,
l’actualité des normes juridiques (la CPI par exemple) des normes financières
(la crise des subprimes, normes ISO), institue autour des normes et le sens caché de
leurs enjeux un axe central d'intelligence ou un hub de management autour duquel les intelligences africaines
doivent s’investir afin de faire face à la guerre des retards normatifs
africains. L’urgence est là, et les conséquences sont fâcheuses sur tous les
plans et pour plusieurs générations.
L’importance croissante de l’influence normative en Afrique dans les rapports de partenariats économiques, juridiques, écologiques, militaire, financiers…
L’importance croissante de l’influence normative en Afrique dans les rapports de partenariats économiques, juridiques, écologiques, militaire, financiers…
Elle
découle d’évolutions clés :
- l’élaboration des régulations internationales fait l’objet de compétition au même titre que les produits. D’ailleurs, pour certains, les normes sont des produits. Tous les marchés y sont soumis y compris les marchés domestiques africains ;
- l’impasse actuelle du multilatéral, en particulier concernant l’OMC, les accords de libre-échange entre États ou zones sont des outils stratégiques de diffusion de règles et de normes ;
- la norme et la règle, y compris très techniques, véhiculent des stratégies non seulement commerciales, mais aussi de puissance, des politiques et des modèles, notamment venus depuis une trentaine d’années de conceptions dites libérales anglo-saxonnes qui relèvent avant tout de la culture libérale
- l’arrivée des BRICS et autres nouvelles puissances sur ces terrains, est une bonne nouvelle à long terme car elle ouvre le jeu des négociations pour les pays africains. En même temps, la norme comme la règle ont toujours pour objet de sécuriser les échanges, de faciliter l’interopérabilité du commerce et, en principe, de protéger le consommateur tout en lui assurant le meilleur service
Avec le développement des échanges, l’Afrique croule sous le
poids des normes internationales et la demande de normes et règles est en
croissance constante et de plus en plus d’acteurs publics et privés participent
à leur élaboration sans prendre conscience des enjeux cachés. Les États africains
sont des acteurs faibles et pas singuliers dans cette compétition. Les enjeux
de réglementaires et normatifs peuvent être considérés comme une opportunité
pour l’Afrique en 2013, l’occasion de rebattre
les cartes de l’éternel face-à-face avec l’Europe et parfois l’affrontement
entre la BRICS, l’Europe et les Etats Unis. Sachons aussi que la compétitivité
coût de l’Afrique va devenir une réalité avant 2050, elle sera fondée sur sa capacité
de production de normes dans la protection de son patrimoine économique ainsi
que de ses matières premières.
Les
conclusions de nos entretiens avec les acteurs politiques et économiques vont toutes
dans le même sens : l’Afrique, secteurs public et privé confondus, ne dispose ni
de compétences remarquables ni de savoir-faire pointus dans plusieurs domaines
clé de son développement. Elle n’a donc pas développé d’expertise dans la
compréhension et l’analyse des enjeux des partenariats économiques (les Accords de Partenariats Economiques
nous le rappellent douloureusement), ni associé ses élites dans la
production des connaissances stratégiques participants à la mise en place d’une intelligence économique et d’influence à long
terme, portant notamment sur la normalisation et l’action sur les règles du
jeu.
Les acteurs économiques et politiques africains dans leurs accords de
partenariats marquent trop peu d’intérêts
à la guerre des normes qui se déroule dans ces pays. La normalisation en
Afrique doit être associée de manière cohérente aux autres stratégies
commerciales, aux actions d’influence étatique ou africaine, à la défense de
nos intérêts dans les accords de libre-échange, à l'action régulière au sein
des organisations internationales, à la préparation de la sécurité économique de
nos marchés domestiques, et aussi à la conquête des marchés internationaux,
donc de nos emplois. Il faudra que nos responsables privés et publics accordent
à ces questions l’importance que leur donnent depuis longtemps leur meilleur allié
traditionnel.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire