Par Patrice PASSY
Directeur Général de M.I.Q Conseil
Guy Gweth (http://www.knowdys.com) : à quoi faites-vous référence lorsque vous parlez de guerre économique en Afrique centrale ?
Elle remplit désormais, les critères permettant d’intégrer les « espaces convoités », les « zones utiles », de la compétition géopolitique mondiale. A cela s’ajoute le terrorisme mondial, la cherté du prix du baril de pétrole qui fait de cette zone, partie intégrante du Golfe de Guinée, une région hautement stratégique.
Dans son acceptation la plus large, le Golfe de Guinée comprend l’Angola, le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée-Equatoriale, le Nigeria, la RD-Congo, Sao Tomé et Principe. Tous ces pays, à l’exception du Cameroun, ont un point commun : le pétrole. Les réserves confirmées de pétrole, le long des 3.700 kilomètres de la ligne côtière du golfe de Guinée, s’élèveraient à 15 milliards de barils. Selon le Centre d’Etudes stratégiques américain à l’heure actuelle, les pays du golfe de Guinée produisent ensemble 4 500 000 barils de brut par jour. D’après ses prévisions dans 5 ans, ces pays s’attribueront 20% du marché mondial du pétrole. La raison pour laquelle je parle de guerre économique concernant cette partie du monde est que le Golfe de Guinée, et notamment sa composante Afrique Centrale, bénéficie d’une position géostratégique qui le met en contact avec toutes les autres sous-régions. Il est donc incontournable pour toute question qui a trait à l’Afrique. Les Etats occidentaux (France, Grande Bretagne, Belgique, Espagne), orientaux (Chine, Japon, Inde, Israël), du Sud (Brésil) et d’Afrique (Afrique du Sud, Nigeria, Libye, Maroc) ; sans oublier leurs acteurs privés de toutes natures : multinationales, institutions internationales, idéologues, prédateurs, affairistes ont tous compris : celui qui tient le Golfe de Guinée tient l’Afrique. Nous assistons ainsi, en Afrique centrale, à des conflits entre intérêts stratégiques rivaux, concurrents, complémentaires dans le jeu des échanges internationaux.
Guy Gweth : à votre avis, comment les Africains perçoivent-ils la percée des entrepreneurs chinois face aux Français ?
PP : D’un point de vue stratégique, les africains croient disposer d’un contre poids face aux alliés traditionnels, ce qui à mon sens est encore une erreur d’évaluation de la présence chinoise. L’activisme diplomatique et politique chinois est dicté en 2008 par des objectifs tant économiques que politiques. Il est étonnant que face à cette offensive chinoise qu’au niveau national (des Etats d’Afrique centrale pris isolément) aucune réflexion-action stratégique comme cadre macro-économique de négociation n’ait été privilégiée. En effet, l’investissement croissant de Pékin en Afrique découle de l’appétit insatiable de la Chine pour les ressources naturelles, notamment pour l’approvisionnement en pétrole, dont 25 % provient de l’Afrique.
Les africains marquent un intérêt croissant du point de vue de la part de l’investissement direct étranger (IDE) chinois vers le continent. Sans une législation adaptée pour canaliser cet apport financier dans chaque pays, les mêmes travers constaté en ce qui concerne l’aide au développement risque d’être encore à l’ordre du jour. Cet IDE a connu l’an dernier une augmentation de 28 %, pour atteindre les 15 milliards de dollars (12,2 milliards d’euros), d’après le rapport de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, la CNUCED.
Guy Gweth: le climat actuel des affaires en Afrique centrale est-il propice aux investisseurs étrangers ?
Patrice Passy: l’IED (Investissement Etranger Direct) occupe une place de plus en plus importante dans les stratégies de développement économique en tant que moyen essentiel pour financer le développement sans aggraver l’endettement. La volonté d’attirer l’IED en Afrique a donné lieu à des réformes économiques dans la plupart des pays de la zone franc. Réforme fiscale, juridique, financière et structurelle dans certains cas. Reste à savoir si ces réformes ont stimulé les flux d’IED vers l’Afrique et, si ces derniers favorisent l’accélération de la croissance et la réduction de la pauvreté.
Guy Gweth : que peut rapporter concrètement l’intelligence économique et stratégique aux économies d’Afrique subsaharienne ?
Patrice Passy: nous, les acteurs et professionnels de l’intelligence économique, avons la lourde mission grâce à une forte sensibilisation, d’informer les décideurs politiques de la nécessité d’une mutation stratégique des Etats de l’Afrique centrale face à la globalisation. La nécessaire sécurité économique qu’imposent les enjeux émergents dans le Golfe de Guinée va donc impliquer notre savoir-faire pour susciter une impulsion forte des politiques afin de promouvoir la création de structure permettant la mutualisation des ressources publiques et privées des pays africains pour y faire face.
L’éclatant succès du Workshop professionnel que nous avons organisé au Congo-Brazzaville et au Bénin sur le thème : la protection du patrimoine économique de l’Etat laissait présager une prise de conscience au–delà de mes espérances dans ces pays. L’approche fonctionnelle qui fait considérer l’information comme un bien stratégique, d’où la nécessité de préserver en toutes circonstances l’accès du pays aux sources d’informations indispensables, a été la plus adoptée par rapport à la configuration de ces Etats et de ses économies. A nous, non pas de critiquer comme nous aimons le faire si facilement, mais de proposer aux décideurs dans une logique d’offres, une architecture adaptée, visant la promotion d’une stratégie globale de sécurité économique aux pays d’Afrique Centrale.
Il est urgent aujourd’hui de donner aux organisations publiques et privées, un corpus juridique, une analyse adaptée des enjeux du moment et des textes dont l’importance n’est plus à discuter. A ce jour l’absence de législation sur la sécurité économique ainsi que l’inexistence d’une stratégie politique nationale de sécurité économique est l’éloquent corollaire d’un défaut de culture stratégique dans ces Etats.
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