jeudi 28 juillet 2011

L’importance accrue en Afrique francophone du renseignement économique dans la vie des affaires

Par Patrice PASSY (2eme à droite) 
Directeur de M.I.Q Conseil

Avec le développement de nouvelles connaissances, les espaces collaboratifs de travail, la circulation des flux informationnels, des transports et des réseaux informatiques, le village planétaire devient une réalité à la fois politique, culturelle, économique, financière. Les entreprises africaines de dimension internationale sont désormais contraintes d'ajuster leurs stratégies en fonction d'une nouvelle grille de lecture intégrant la complexité croissante des réalités concurrentielles, l'interdépendance croissante des liens économiques en évolution permanente sur les différents échiquiers mondiaux, nationaux et locaux.
L'efficacité d'une telle démarche utile à leur croissance ou survie, repose sur le déploiement de véritables dispositifs d'intelligence économique qui instituent la gestion stratégique de l'information comme l'un des leviers majeurs au service de leur performance économique et capacité de renouvellement technique.     L'intelligence économique devient un outil à part entière de connaissance et de compréhension permanente des réalités des marchés, des nouvelles techniques et des modes de pensée des concurrents, de leur culture, de leur intention et de leur capacité à les mettre en oeuvre. Elle se définit alors comme l'ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement, de distribution et de protection de l'information utile aux acteurs économiques obtenue légalement (Rapport Martre. XIXème plan).

Pour les Anglo-saxons, faire de l'IE (intelligence économique) c'est faire "du renseignement pour les affaires ". Ça a le mérite de la clarté. L’actualité libyenne, de la RD-Congo, dans le Causasse, en Afghanistan,  en Egypte, en Côte d’Ivoire, la dette grecque, la dette américaine, la guerre des monnaies montre à suffisance pour la seule année 2011 que la guerre économique par le croisement des intérêts complexes et multiformes est devenue la seule manière de non plus conquérir des territoires mais des zones économiques fragile et/ou solide.  Dans ce monde devenu "hyper-marchant" ou seuls les rapports de force déterminent la conduite à tenir des États face à leur intérêt et leur peuple, la maîtrise de la production de l’information stratégique, des connaissances ainsi que les meilleurs canaux et moyens de leurs diffusion deviennent le levier complémentaire et impérieux dans toute stratégie de puissance, de développement et de survie. Le 21e siècle nous livre l’explication d’un phénomène dont l’ampleur et l’impact n’ont pas encore été complètement compris par les décideurs des entreprises africaines. Il s'agit de l'information stratégique qui dans ce contexte de guerre économique devient :
1.      Une matière stratégique
2.      Un produit à haute valeur ajoutée
3.      Une marchandise qui n’a de la valeur que pour qui en a besoin
4.      Sa gestion un métier
5.      Sa maîtrise une arme offensive et défensive dans notre rapport du faible au fort avec les multinationales françaises, chinoises, américaines, russes, brésiliennes, belges, anglaises, sud africaines...

Depuis plus de 10 ans nous relevons des fautes professionnelles lourdes au coût financier et humain très élevés liés à la non maîtrise des enjeux de l’information stratégique.
1. Si les entrepreneurs africains avaient été informés de la dévaluation du franc CFA, nombreux n’aurait pas déposé leur bilan, ou vu le poids de leur passif quintuplé d’un coup.
2. Si Air Afrique avait une stratégie pilotage de ses actions, de conquête de nouveaux marchés et de protection de son patrimoine, elle n’aurait pas sombré lamentablement.
3. Plusieurs de nos responsables politique et économique, négocient avec des partenaires dont ils ignorent tout, résultat des contrats aux pièges multiples défavorables généralement aux entreprises africaines, aux intérêts des États africains, des négociateurs et des milliards de francs qui disparaissent sans espoir d’être retrouvés…
4. Le capitalisme français n’a pas d’histoire, de mémoire et d’affect, il n’a que des intérêts à préserver et du profit à faire, il n’a jamais protégé les intérêts des entreprises partenaires, n’en déplaisent à ceux qui font preuve d’angélisme et de fraternalisme.
5. 71% des négociations commerciales avec des français pour des projets commerciaux en Afrique n’aboutissent jamais, faute de soutien de l’Etat aux entreprises, de guichet unique de l’information dédié aux entreprises exportatrices par exemple, d’information professionnelle sur les enjeux, les intérêts, la stratégie et les motivations des partenaires ou concurrents étrangers.

Situation actuelle de la gestion de l’information professionnelle dans les entreprises de la zone franc

           D’emblée nous précisons que ce n'est pas le concept ou son utilisation qui pose problème en Afrique, car, la présente livraison porte sur les moyens d'actions permettant de créer un cadre de travail et un état d'esprit nouveau, pour une meilleure mise en oeuvre de l’intelligence économique en tenant compte des évolutions et variables économiques africaines et aussi de la nouvelle économie. C'est à nous de définir notre intelligence économique, qui devra être adaptée à notre environnement, à nos budgets, réalités et  besoins. La colonisation économique dont souffre les pays d’Afrique francophone du fait du système de dépendance intégrale mis en place dès la fin de la colonisation, interdit aux acteurs et dirigeants africains d’attendre un "schéma extérieur sauveur".

L'analyse de l'existant nous fournit le constat suivant :

a) L'information reste encore un privilège, que l'on n'a pas encore traduit ou compris comme un outil de travail, un outil de motivation des groupes, un socle de cohésion social, un réducteur des conflits.
b) L'information ne circule pas encore dans le logigramme fonctionnel des entreprises faute de transparence interne et de volonté, parfois de rigidité structurelle, organisationnelle ou mentale.
c) Un cadre de coproduction de connaissances et de diffusion de l’information souvent mis à mal par la lenteur dans le développement d’une culture stratégique, un manque de culture de renseignement économique, une absence de société du secret, une inertie de la direction politique et de l’entreprise, une gestion malhabile de la prospective.

présidence de la République, et dans une moindre mesure l'entreprise publique ou privée. La faiblesse des structures étatiques, du tissu industriel et le poids énorme de l'Etat font que seule la présidence de la République en dessous duquel se trouvent trois ministères clés, qui gèrent l'information comme un moyen d'action politique et non puissamment économique, celui de l'intérieur, de la défense et celui de l'industrie, de l’économie et du plan... Accessoirement, il y a la chambre de commerce, les instituts économiques, les milieux affairistes, le patronat. La faiblesse des moyens dont dispose l'Etat et l’extrême porosité de nos services de renseignements lui privent des systèmes d'analyses et d'informations permettant d'établir des cadres stratégiques de développement économique et de croissance. 

La deuxième structure qui, du fait de sa configuration actuelle exploite l'information est, l'entreprise publique ou privée. Il va sans dire qu'au sein des entreprises existe bel et bien un système d'information mais, qui ne traite souvent que des activités traditionnelles de gestion (facturation, stock, comptabilité, paie, production) et d'administration. Étant souvent en situation de monopole les entreprises ignorent la veille stratégique ou ne tiennent pas compte de l'environnement concurrentiel, de la protection de leur patrimoine ni des rapports économiques internationaux pouvant affecter leur fonctionnement dès la première difficulté (la dernière crise financière par exemple avec ses lourdes conséquences pour l'industrie minière en RD-Congo par exemple).

Lorsqu'elle existe dans les entreprises seules quelques personnes bénéficient de cette information. N’oublions pas que l’information renforce le pouvoir et culturellement l'information ne se partage pas tout comme le pouvoir, pour la simple raison que cela renforce l'autorité du détenteur.  Dans les faits cela se traduit par une course effrénée vers le trafic d’influence, une  démotivation évidente du personnel non associé à l'apport, la production ou la gestion des connaissances. Or tout processus de valorisation de coproduction des connaissances passe par une vision collective de la finalité de l'information stratégique.

Comment est gérée l’information en entreprise ?

L’information s’impose progressivement comme un instrument de compétitivité. Nous reconnaissons que beaucoup de PDG africains, plus préoccupés par la conservation de leur poste que par la compétitivité de leur entreprise ne peuvent s’ouvrir à de nouvelles compétences qui les obligent à partager l’information pour une meilleure rentabilité. Car, l’information n’est pas encore perçue comme un moyen d’action pour agir en interne sur les motivations, et agir à l’extérieur pour influencer tous ceux qui agissent sur l’entreprise (clients, fournisseurs, concurrents, administrations, citoyens). Les difficultés rencontrées lors de nos missions de conseils en Afrique francophone sont résumées sommairement en 3 points :
1. Le système de gestion du renseignement pratiqué est la centralisation de l'information, le détenteur ne veut pas mettre ses informations sur la place publique car cela est perçu comme une perte de pouvoirs ou risque de perte du pilotage de l'entreprise.
2.Le mode de gestion de l'information est la diffusion rétention, c'est-à-dire qu’en fonction des situations de crise souvent ou selon ses intérêts, quelques informations sont distillées.
3. La culture du secret de l’information est pour son détenteur une arme, un enjeu du pouvoir, une protection contre tous ceux qui en interne exigent la transparence et des résultats en rapport avec sa gestion généralement problématique de l'entreprise.

Quelles solutions dans ce contexte ?

L’orientation partagée par les intervenants en IE ayant pour zone géographique d’intervention l’Afrique francophone est qu’il convient d’abord, que les acteurs économique et politique des pays de la zone franc soient parfaitement informés des évolutions de leur marché pour saisir les opportunités d'affaires et réduire les risques, dans les actions qui engagent l'avenir de leur entreprise. Mais l'information est devenue tellement dense et variée aujourd'hui qu'il leur est difficile de la traiter qualitativement et rapidement sans mettre en place une démarche appropriée, grâce un cadre législatif incitatif,  un accompagnement assumé des pouvoirs publiques. Notre métier est d’accompagner les entreprises qui le désirent tout au long de ces étapes www.miq-conseils.com.

Pour participer aux solutions, l'intelligence économique va avoir pour but d'optimiser au sein des entreprises les opérations de recherche et d'exploitation de toute l'information utile pour éclairer et guider les prises de décisions stratégiques. C’est un véritable outil d’aide à la décision. Ensuite, la solution se trouve aussi paradoxal que cela puisse être, dans les faiblesses des structures étatiques et aussi grâce au référentiel culturel des pays de la zone franc pris individuellement et collectivement. Soulignons que l'avantage concurrentiel dans nos pays ne doit pas être conçu absolument en termes d'avantage compétitif des entreprises. L’architecture du triptyque  (cadre législatif, impulsion politique, formation des élites et mise en œuvre structures d’appui) doit être envisagée sous la forme interministérielle d'une réflexion stratégique nationale dont les conclusions et recommandations portant sur une stratégie concertée (appareil étatique, entreprises, acteurs économique) doivent permettre la participation au développement harmonieux du tissu économique. Il s'agit dans les faits d'intégrer la mission, les moyens, les objectifs, le niveau de maîtrise des nouveaux outils, le savoir-faire local et celui de la diaspora.

Enfin, il est établi que ce n'est toujours pas la puissance de l'appareil économique ni de production de données qui fait la force d'un système d'intelligence économique, mais plutôt sa capacité à organiser un maillage stratégique offensif et défensif avec définition d'un cœur stratégique nationale permettant la décision (cas du Japon et de la Chine). Il va de soi que la mobilisation autour de cette nouvelle méthode de travail ne peut se faire sans les institutionnels, sans les entreprises, la société civile et les acteurs de l'économie informelle. 
Notre référentiel culturel peut être considéré comme un atout puissant dans la mise en place d'une connivence intérieure des intérêts privés et publics. Le contrôle social qu'exerce la communauté, notre système d’interconnaissance sont des réducteurs d'incertitudes, un puissant filtre des normes donc un vecteur de « codes économiques » ayant une influence décisive pour l'homogénéité du groupe permettant à terme la mutualisation des intérêts des groupes économique à promouvoir.

       La communauté en Afrique joue un rôle important dans le partage et la gestion de l'information. Cependant, son poids dans la société inhibe les initiatives individuelles et dilue l'individu, mais cela fortifie les liens communautaires et oriente aussi le choix de l'activité économique des groupes. Elle développe une solidarité qui maintient un contrôle social permettant ainsi la mise en place des réseaux rampants (informel) de lobbying imbus d'une culture de renseignement économique que l'on active en fonction de(s) l'objectif(s).

Rôle de l’Etat

1 - Dans un premier temps, les dirigeants politiques doivent comprendre la portée du cadre juridique et législatif à mettre en place. L'intérêt national doit être mis en exergue pour que les acteurs économiques locaux puissent avoir des marges pour se battre convenablement sur un marché international mondialisé. Une coopération avec tous les acteurs économiques est nécessaire pour bâtir un plan stratégique offensif et la mise en place de cellules d'intelligence économique dans les ministères et organes vitaux de la nation.

2 - Il faudra intéresser les acteurs économiques et motiver ceux ci, les rendre responsables de la réussite d'une entreprise, par la communication institutionnelle et la valorisation de nouvelles méthodes de management et d'organisation des entreprises. N’oublions pas que sans insertion de manière valorisante des cadres (ce que malheureusement de cesse de faire le tribalisme, le népotisme, l’affairisme et la corruption), dans le dispositif de production de richesses, d'appropriation technique et permanente de l’information en vue de son exploitation, il est impossible d’envisager un tel dispositif. La mise en place d'une stratégie ouverte visant l'utilisation stratégique de l'information ne devait pas poser de problèmes insolubles du fait de la légèreté des structures. 

3- Il faut que l'Etat facilite la mise en place d'une politique de sécurité économique, par une prise en compte de la sécurité « alimentaire » des cadres, des enjeux de la guerre économique mondiale et surtout la sensibilisation de tous les acteurs impliqués dans le développement du pays.

4- Enfin, il est aussi nécessaire d'organiser au niveau national, une politique de sensibilisation au patriotisme économique (intérêts stratégiques de la nation). La cible principale sera la société civile, surtout les jeunes, les acteurs économiques et tous les agents de l'Etat, pour une meilleure motivation et implication dans la démarche d'intelligence économique. Le développement d'un pays ne peut se faire aujourd'hui qu'à travers l'interaction des trois acteurs suivants : État, opérateurs économiques, société civile. Seule la maîtrise de cette dynamique peut favoriser aussi bien le développement humain et l'amélioration des  agrégats économiques des pays africains.

Patrice PASSY                                                                                                                                                patrice.passy@gmail.com 

Directeur général de M.I.Q Conseil
·        Conseil en Intelligence stratégique et communication d’influence. Conseiller auprès d’autorités politiques en Afrique Centrale
·        Président de CENTRA[L] Réseau d’entreprises franco-africain organisant des « conversations stratégiques » sur les questions de fond concernant l’Afrique francophone et la France, les pays de la BRIC et le golfe de Guinée, l’union africaine et l’enjeu chinois…
·        Formateur en Institut de Management et École de Commerce à Paris

Pour en savoir plus…www.miq-conseils.com

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