Il y
a deux choses que se partagent largement les peuples africains : la pauvreté et l’injustice. Si la
pauvreté fait l’objet de nombreux programmes nationaux et internationaux tous aussi pauvres en efficacité qu'en justice, l’injustice est devenue un souci grandissant porté
dans les sociétés africaines par ses populations. L’opinion y est sensible, le
citoyen scandalisé, les politiques à la fois attentifs et amnésiques, les
sociétés civiles aphone et atone. Les médias inféodés jouent leur rôle de griot
du pouvoir avec moins de conviction, tandis que les philosophes conseillers des
hommes politiques ne s’inquiètent plus du tout des fondements… on peut parler,
sans verser dans l’excès, d’un vif sentiment d’injuste des peuples, des jeunes,
des classes moyennes et surtout des sans voix. Du Nord au Sud, d’Est en Ouest,
sans oublier le Centre, on ne saurait évidemment déplorer un chapelet d’actes,
d’activités et d’actions et une ambiance si bien disposée qui cultivent l’injustice.
En semant volontairement à travers le temps l’injustice, il est clair que les
bourgeons du vif sentiment d’injustice sont apparus depuis la fin des années
90. Il est évident que ce vif sentiment d’injustice
n’est pas sans effets secondaires.
L’injustice normalisée est de plus en plus
ressentie comme une véritable future déflagration
Volontairement
niée, politiquement cachée, momentanément anéantie et pourtant totalement
existant, subie, violemment vécue, l’injustice ou ce qui est ressentie comme
telle, est en voie de devenir une véritable déflagration. On en perd les mots, le souffle, le
mouvement.
Pourquoi
et comment en est-on arrivé là ? Pourquoi cet aveuglement volontaire ?
Mais qu’est ce qui se passe ? Toutes les formes d’injustices sont
rassemblées dans les capitales africaines, administrations publiques, assemblées, entreprises,
collectivités publiques, représentations diplomatiques, régies financières, provinces,
décuplées même ; corps et esprit saisis, vrillés. Animée par le choc de sa propre
malfaisance, l’injustice en Afrique est d’une puissance insoupçonnée. Arme de
démotivation massive, elle corrompt, ramollit, distant, dérègle le tissu social.
L’injustice éloigne et vous éloigne du peuple, elle rompt la communication,
piège l’avenir et ruine tout effort.
Le
plus étonnant est cette promotion volontaire, consciente et inconsciente de l’injustice,
une telle affirmation peut choquer, mais qui parmi nous a attiré dans un
discours structuré, l’attention des élites et décideurs sur les risques et les
incertitudes que génèrent actuellement la promotion des injustices sociales, juridiques, administratives, etc...
Qui a théorisé sur
l’injustice galopante dans nos sociétés ? L’élite est préoccupée par la
course à la redistribution sociale et politique des rentes économiques. Qui a pensé à mettre hors champ le sentiment d’injustice ? En
30 ans nous sommes passés du sentiment d’injustice au vif sentiment d’injustice, partout, dans tout et pour tout. Pourquoi ?
"L'injustice est une mère qui n'est
jamais stérile et qui produit des enfants dignes d'elle." Adolphe Thiers.
Expérience
par nature paroxystique. Le vif du sentiment d’injustice a atteint depuis
longtemps un niveau supérieur, nous sommes passés du sentiment d’injustice au
vif sentiment d’injustice qui au fil des situations se muent en états
d’injustice, en injustices durables. Celles qui font désormais partie de
l’ordre des choses et qui, systématiquement, empêchent aux sans voix, de
prendre part au « jeu » collectif. Les états d’injustice structurés et
organisés, les injustices durables maintenues au-delà du raisonnable, font
naître les grandes colères. Celles qui font peur aux décideurs, celles dont on
sait qu’après le temps de l’informe violence, elles peuvent s’organiser en
combats très articulés. La morsure de l’injustice est un révélateur à plusieurs
entrées. Elle représente un risque réel, pour la société, pour l’individu. Bien
sûr, il est tentant et raisonnable de dire que l’injustice éprouvée doit être
réévaluée, qu’il faut prendre de la hauteur, changer de perspective, dépasser
sa colère, la convertir, la surmonter – mais à condition que le sentiment de sa
propre dignité n’ait pas été déjà réglé par d’autres : à condition que,
touché au vif, il reste cette ardente exigence qui vaudra de se battre
personnellement pour s’en sortir.
"Souvenons-nous
de tous les effets démontrables des très fortes inégalités : diminution de
l'espérance de vie, tribalisme, clientélisme, problèmes de santé, maladies
mentales, criminalité en hausse, pauvreté et populations carcérales en
augmentation, etc. Tous ces phénomènes sont les signes d'une montée vers le
chaos. Chaque ajout d'un grain de sable d'injustice conduira - à un moment
imprévisible - au cataclysme social et à l'effondrement." Susan George -
Leurs crises, nos solutions - 2010, Page 357
"L'injustice
de l'ordre économique mondial, fondé sur la primauté de l'argent et de la concurrence,
se révèle particulièrement sur ce continent [Afrique], où ses dégâts se
mesurent en termes de vie et de mort. Vue d'Afrique, la "mondialisation
heureuse" apparaît comme ce qu'elle est : une sinistre escroquerie." L'Atlas
du Monde Diplomatique - 2006 - Afrique, miroir du monde
L'injustice est muette, et la justice crie
- Parler ainsi, est-ce lancer un inconvenant plaidoyer insurrectionnel ?
- Est-ce prêcher la révolte ou des révolutions hors d’âge ?
- Surement pas !
C’est tenter de se tenir au plus près de la
vie. Infiniment vulnérable est celui qui
s’estime blessé par l’injustice, c’est-à-dire la victime. Il peut en être
détruit ou construit Une victime est une personne ou une entité qui subit un
dommage, un abus, ou un préjudice moral. Elle subit les mauvais traitements, les
injustices d'autrui, ou subit les conséquences d'un accident, d'une
catastrophe, d'un cataclysme.
- Sommes-nous prêts à être bousculés par ceux qui tentent d’exister vraiment ?
- Sommes-nous cohérents dans les échanges quotidiens ?
- Savons-nous repérer et retenir les injustices dont nous sommes la cause ?
C’est
leur répétition qui use, et le fait que, venant parfois de tous côtés, elles
finissent par faire figure de destin écrasant. Le vif du sentiment d’injustice
rejette le poids du destin. Le refus, l’indignation, la colère ont cette force.
Seulement, voilà : nous ne sommes plus dans une époque qui fait place aux
grandes colères. Nous sommes dans un temps d’apparente normalisation qui fait
place aux victimes. La position de victime, elle, vous trace un destin en vous
agrégeant à toute une catégorie de personnes qui partagent peu ou prou le même
sort. Tandis que, dans le vif du sentiment d’injustice, c’est le sans-prix de
sa propre existence que l’on éprouve, le prix sans pareil de son unicité, ce
qui appelle à être reconnu, sa dignité. Il est bon, de temps en temps, que
l’hors-champ puisse investir le devant de la scène, devenir vraiment présent à
nos consciences et retenir tout notre attention. Sortir de l’état de victime
requiert d’accepter que nous avons appris à le devenir. Le modèle peut provenir
de la famille, de la religion, de l’éducation, des institutions politiques,
cela n’a pas d’importance. L’importance c’est de reconnaître que l’on apprend à
être une victime des injustices. La deuxième étape consiste à cesser de rendre
les autres responsables pour tout ce qui ne va pas dans votre vie et d’accepter
la responsabilité de prendre votre vie en main ! Pour sortir de l’état de
victime il est nécessaire de réaliser que l’état de victime n’est pas un état
d’être qui doit être permanent. Ce n’est pas une condamnation à perpétuité. Un
autre aspect est de reprendre la responsabilité de votre vie et un troisième
est de reprendre le pouvoir que vous aviez donné aux autres de diriger votre
vie. Si vous n’avez pas le pouvoir de gérer votre propre vie par vous-même, quelqu’un d’autre détient ce pouvoir sur vous et vous êtes alors condamné à attendre
après cette personne pour que des changements se produisent. Lorsque vous avez
votre propre pouvoir, vous pouvez agir maintenant!
Le
sentiment d’injustice ne suffit pas pour vaincre l’injustice. François Mitterrand.