Génocides, massacres et bains de sang à géométrie variable
Enfin traduit en français (merci à son courageux éditeur), ce classique restait pourtant méconnu du large public qu’il mérite. Car ils se comptent sur les doigts d’une main les ouvrages qui osent appeler un chat, un chat… et un génocide, un génocide ! Et qui plus est, osent en dénoncer les vrais commanditaires, les vrais acteurs, les vrais coupables. Et s’il est un domaine ou l’influence (la mauvaise) le dispute régulièrement à la propagande (qui l’est toujours), c’est bien celui de l’abus de langage.
Edward S. Herman (Professeur à la célèbre Warton School – University of Pennsylvania, analyste des médias) et David Peterson (journaliste d’enquête indépendant) n’ont donc pas faibli quand il s’est agit d’écrire – et de démontrer (en moins de 200 pages) qu’en matière de politique et de relations internationales, « les mots ne sont pas innocents (…) et que le sens qu’on leur donne est fonction des buts que l’on poursuit et des intérêts que l’on défend ».
Evidemment, quand ces mots sont « génocides, massacres ou bains de sang », le sujet prend une portée particulière. Ils ont donc étudié, scientifiquement pourrait-on dire, l’usage qui a été fait ces vingt dernières années dans la presse occidentale de ces trois termes, et sont arrivés à la conclusion (très désagréable mais implacable) qu’ils furent et sont encore « principalement utilisés pour qualifier les agissements de pays qui, d’une manière ou d’une autre, furent ou sont en conflit d’intérêts avec les Etats-Unis (…), très rare étant leur usage pour parler des exactions commises par ces derniers et leurs alliés ».
Pour preuves, parmi beaucoup d’exemples cités dans l’ouvrage, l’usage et l’interprétation qui ont été faits – ou pas – de ces expressions en Irak (génocide « constructif » ?), au Darfour, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, au Rwanda et en République démocratique du Congo (génocides « néfastes » ?) ; à Sabra et Shatila, à Gaza, en Croatie [opération Tempête], en Afghanistan [à Dasht-e-Leili], vis-à-vis des Kurdes de Turquie et d’Irak, au Timor oriental [opération Liquica], au Salvador ou au Guatemala (massacres « bénins » ?), et à Račak (bain de sang « mythique » ?)…
« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de (la) cour (pénale internationale) vous rendront blanc ou noir *», beaucoup plus sûrement, en effet, que si ses procureurs et ses juges appliquaient strictement la définition juridique qu’elle retient elle-même pour qualifier un génocide, à savoir « l’intention d’anéantir, intégralement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel ». Personne n’ignore, d’ailleurs, que les Etats-Unis ont pris soin, tout en encourageant sa création et en accélérant sa mise en œuvre, de refuser de se placer et d’être placés – et leurs ressortissants ! , sous la juridiction de la Cour Pénale Internationale.
De même, écrivent encore Herman et Peterson, « il est intéressant de souligner que les statuts de la CPI, comme les règles qui régissent le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY ou Tribunal de La Haye) et le Tribunal pénal international pour les crimes (crimes, pas génocide…) du Rwanda (TPIR ou Tribunal d’Arusha) excluent de leur juridiction le crime d’agression », pourtant défini, à Nuremberg (!) comme « le crime international suprême, différant seulement des autres crimes de guerre en ce qu’il porte en lui le mal accumulé de tous les autres ». Un ange vole sur le bombardement de la Serbie… et les millions de morts du régime rwandais (actuel) avant, pendant et après 1994, attestés par plusieurs rapports de l’ONU et d’ONG indépendantes restés, comme le prouvent nos auteurs, sous le boisseau diplomatique et médiatique.
Actualisé et complété pour cette édition en langue française, l’ouvrage est, par ailleurs, introduit par une nouvel avant-propos tout à fait passionnant (et glaçant), lui aussi, qui, en particulier, décrit parfaitement comment les processus de désinformation par les mots ont encore récemment été utilisés quand ont été décidées puis mises en œuvre les opérations de « libération » de la Libye, « à grands renforts de rhétorique sur le devoir qu’avait la Libye de « respecter sa responsabilité de protéger sa population (et) de veiller à ce que les responsables d’attaques (…) contre des civils soient tenus de rendre des comptes ».
Edward S. Herman (Professeur à la célèbre Warton School – University of Pennsylvania, analyste des médias) et David Peterson (journaliste d’enquête indépendant) n’ont donc pas faibli quand il s’est agit d’écrire – et de démontrer (en moins de 200 pages) qu’en matière de politique et de relations internationales, « les mots ne sont pas innocents (…) et que le sens qu’on leur donne est fonction des buts que l’on poursuit et des intérêts que l’on défend ».
Evidemment, quand ces mots sont « génocides, massacres ou bains de sang », le sujet prend une portée particulière. Ils ont donc étudié, scientifiquement pourrait-on dire, l’usage qui a été fait ces vingt dernières années dans la presse occidentale de ces trois termes, et sont arrivés à la conclusion (très désagréable mais implacable) qu’ils furent et sont encore « principalement utilisés pour qualifier les agissements de pays qui, d’une manière ou d’une autre, furent ou sont en conflit d’intérêts avec les Etats-Unis (…), très rare étant leur usage pour parler des exactions commises par ces derniers et leurs alliés ».
Pour preuves, parmi beaucoup d’exemples cités dans l’ouvrage, l’usage et l’interprétation qui ont été faits – ou pas – de ces expressions en Irak (génocide « constructif » ?), au Darfour, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, au Rwanda et en République démocratique du Congo (génocides « néfastes » ?) ; à Sabra et Shatila, à Gaza, en Croatie [opération Tempête], en Afghanistan [à Dasht-e-Leili], vis-à-vis des Kurdes de Turquie et d’Irak, au Timor oriental [opération Liquica], au Salvador ou au Guatemala (massacres « bénins » ?), et à Račak (bain de sang « mythique » ?)…
« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de (la) cour (pénale internationale) vous rendront blanc ou noir *», beaucoup plus sûrement, en effet, que si ses procureurs et ses juges appliquaient strictement la définition juridique qu’elle retient elle-même pour qualifier un génocide, à savoir « l’intention d’anéantir, intégralement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel ». Personne n’ignore, d’ailleurs, que les Etats-Unis ont pris soin, tout en encourageant sa création et en accélérant sa mise en œuvre, de refuser de se placer et d’être placés – et leurs ressortissants ! , sous la juridiction de la Cour Pénale Internationale.
De même, écrivent encore Herman et Peterson, « il est intéressant de souligner que les statuts de la CPI, comme les règles qui régissent le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY ou Tribunal de La Haye) et le Tribunal pénal international pour les crimes (crimes, pas génocide…) du Rwanda (TPIR ou Tribunal d’Arusha) excluent de leur juridiction le crime d’agression », pourtant défini, à Nuremberg (!) comme « le crime international suprême, différant seulement des autres crimes de guerre en ce qu’il porte en lui le mal accumulé de tous les autres ». Un ange vole sur le bombardement de la Serbie… et les millions de morts du régime rwandais (actuel) avant, pendant et après 1994, attestés par plusieurs rapports de l’ONU et d’ONG indépendantes restés, comme le prouvent nos auteurs, sous le boisseau diplomatique et médiatique.
Actualisé et complété pour cette édition en langue française, l’ouvrage est, par ailleurs, introduit par une nouvel avant-propos tout à fait passionnant (et glaçant), lui aussi, qui, en particulier, décrit parfaitement comment les processus de désinformation par les mots ont encore récemment été utilisés quand ont été décidées puis mises en œuvre les opérations de « libération » de la Libye, « à grands renforts de rhétorique sur le devoir qu’avait la Libye de « respecter sa responsabilité de protéger sa population (et) de veiller à ce que les responsables d’attaques (…) contre des civils soient tenus de rendre des comptes ».
Mais Platon n’écrivait-il pas – il y a 2 300 ans ! , que « la perversion de la cité commence par la fraude des mots » ?
* Les animaux malades de la peste, de Jean de La Fontaine
Génocide et propagande. L’instrumentalisation politique des massacres, d’Edward S. Herman et David Peterson, aux éditions Lux, collection « Futur proche ». 180 pages au format 14 x 21,5 cm. Notes et références. 17 €. ISBN 9782895961307.