vendredi 16 janvier 2015

LES URGENCES ECONOMIQUES FRANÇAISES EN AFRIQUE FRANCOPHONE

la problématique de l’intelligence économique française en Afrique de 2015 à 2025. 

À la tête de l'Agence française de développement (AFD) depuis un an et demi, Anne PAUGAM a défini les priorités de l'institution à travers un exigeant contrat d'objectifs et de moyens, dans le journal Jeune Afrique du 14 janvier 2014, en ces termes «Dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens défini par le gouvernement français pour 2014-2016, nous avons opté pour une vision intégrée du développement : nous cherchons à améliorer les choses sur les plans économique et social en tenant compte de l'environnement. Ainsi, la moitié de nos investissements doit avoir un impact sur le développement socio-économique, mais aussi sur le climat, en matière d'adaptation ou d'atténuation. »

Plusieurs décisions et mesures des acteurs économiques, me font dire que le modèle économique actuel de la décision publique française montre des signes de fatigue en Afrique. En cause, cette tendance répétée de proposer des solutions de confort en lieu et place d’un business model national pour l'Afrique francophone intégrant les systèmes de besoins et attentes des pays et marchés cibles. Le modèle économique actuel de la décision publique est caractérisé par la modestie des investissements du fait des politiques suivies depuis les décennies 1990 de désengagement de la puissance publique. La question de l'efficience de ce modèle économique de la décision publique et sa capacité à intégrer l’ensemble des externalités africaines, ainsi que les développements endogènes liées, va donc être posée par la problématique de l’intelligence économique française en Afrique de 2015 à 2025. 

Pourquoi ?

Parce que l'accélération de la concurrence des émergents,  est comme un réactif dans un laboratoire, qui met en lumière les retards français dans la course au maintien de son leadership. L’intelligence économique franco-africaine devait avoir pour axe principal de réflexions-actions la réponse aux questions : 
  • comment fonctionnent et se développent les nouvelles dynamiques endogènes des économies africaines ? 
  • Comment s'intégrer et intégrer le business model français de 2015 à 2025 ?
Parce que la France est le seul pays du monde occidental à disposer d'une zone géographique dans laquelle elle influence (hard power) et rayonne (soft power). La Chine influence, mais ne rayonne point, idem pour les USA qui influencent, mais ont du mal à rayonner en Afrique francophone. Pour être et durer après la colonisation, la France a organisé son rayonnement et son influence, grâce à quatre outils d'influence: 
  • l’aide (au développement, économique), 
  • la coopération (scientifique, militaire, politique, universitaire, économique, policier, culturel...), 
  • la monnaie (franc CFA) et 
  • la langue française, tout en sacralisant dans son pré carré des rapports asymétriques. Ces mêmes outils ont été recyclés avec efficacité pendant la guerre froide (1960-1990) et après (1990-2014).
Parce que les paradigmes post-coloniaux deviennent inopérants ou très peu performants. Ces paradigmes sont:  
  • l’aide bilatérale et multilatérale comme outil de diplomatie économique et d’influence
  • les accords d’indépendance  (de coopération et militaire) comme outils de préservation des intérêts stratégiques français et de l’élite locale, comme outil de coercition. 
Par ailleurs, la philosophie qui sous-tend les processus économiques de rente et de coopération n’a pas permis pendant longtemps de favoriser de véritables transferts de compétences, la construction d’autonomies authentiques et pertinentes favorisant ainsi, le maintien d’une demande toujours renouvelée d’assistance, en lieu et place de l’émergence de véritables partenariats.

DB CONSEILS a mis en place au sein de son cabinet une cellule-riposte avec pour objectif clair de présenter dans trois mois, un document cadre sur les nouvelles stratégies d’influences franco-africaines et de coproductions des connaissances et de développement afro-françaises.
En clair, il s’agira de répondre à la question : comment faire émerger les nouveaux concepts dominants qui vont orienter et jalonner le parcours des nouvelles coopérations franco-africaines et afro-françaises de 2015 à 2020.

Pourquoi ?

Parce que si nous ne prenons garde, malgré le fait que la France soit une hyperpuissance culturelle dans le monde francophone, cet héritage historique ne saurait suffire et commence  à se diluer par les effets mécaniques de la mondialisation. Pour la simple raison que la France n’a pas orchestré la mondialisation en Afrique, mais l’a subie de manière progressive et inéluctable.

Première urgence : faire face à l'obsolescence créative

Dans la globalisation actuelle le retard africain va devenir un avantage économique car, les derniers risques d’être les premiers. Les nouveaux arrivants supplantent toujours  les premiers (cas du Japon après la seconde guerre mondiale, de la Corée du Sud dans les années 70 et de la Chine et du Brésil à partir des années 2000).

Que pourront représenter 72 millions de français en 2050 face à 2 milliards 400 millions d’africains. En tout point, la donne aura changé; en sommes-nous conscients ?

Cette perte de l'enthousiasme conquérant des secteurs privé et publics français empêche tout phénomène de codéveloppement économique en grappe en Afrique francophone. Dans les vingt pays les plus pauvres au monde, onze sur dix sept ont toujours été en Afrique francophone et cela dans toutes les études (OCDE,  PNUD, Doing Business, Banque Mondiale…).
Cette perte est inhérente à un facteur culturel français qui s’exprime et se traduit dans les relations économiques, par des propositions axées autour des stratégies économiques de rente (extraction des matières premières et gestion des intérêts en lien) dans une logique de rente. Cette logique rentière a fait perdre au génie français en Afrique l’enthousiasme conquérant, le goût du risque, l’innovation créative et le cantonne au réductionnisme technologique tant dans les transferts que dans les coopérations.
Je prends l’exemple pour illustrer mon propos du Nigéria qui s'est tourné vers la Chine pour disposer de son premier satellite avec un service après-vente intégré. Les pays d’Afrique francophones réunis (UEMOA et CEMAC) ne disposent toujours pas, 50 ans après les indépendances, de satellite tant individuellement que collectivement.

Deuxième urgence : la revitalisation de l’intelligence interculturelle française

Face aux émergents, face aux légitimes aspirations de bien-être des peuples africains et pour conserver la chaîne de valeur française, il est temps de prendre définitivement conscience du caractère peu performant des paradigmes post-coloniaux en Afrique. Cette prise de conscience obligera les élites françaises et africaines  à réinventer la relation franco-africaine et afro-française en situation. En d'autres termes, réussir à épouser de manière pragmatique et non émotionnelle, les nouvelles courbes africaines et les contingences françaises. Réinventer en situation, veut dire que les solutions proposées actuellement ou le bouillonnement observé par-ci par-là  (CIAN, MEDEF, CCIP, MAE, GPEME) sur la mosaïque des opportunités commerciales que présentent l’Afrique actuellement, sont  des continuités de paradigmes anciens et non le bénéfice d'une revitalisation de la pensée franco-africaine et afro-française, intégrant l'urgence des temps (politique, économique, militaire, religieux, culturel...) et des mutations continues dans le contexte où elles se développent.

Pourquoi revitaliser l’intelligence interculturelle française ?

Parce qu’en l'état actuel des choses, le retard africain devient un avantage pour la simple raison que la situation monopolistique que la France tente de conserver, tant bien que mal, par tous les moyens est la preuve, à mon humble avis, d'une obsolescence créative, se traduisant, et je me permets de le répéter, par une perte de l'enthousiasme conquérant. L'histoire économique nous enseigne, que ce sont souvent les retardataires, les nouveaux arrivants, qui font preuve de cet enthousiasme, de ce dynamisme dans l'innovation, l’adaptabilité, et la créativité.

L'obligation d'une revitalisation de l'intelligence interculturelle franco-africaine et afro-française, doit se traduire par :
  • une densification de l'offre française de codéveloppement économique, (délocalisation industrielle, co-création de nouvelles entités de productions locales, transfert de basses et moyennes technologies…),
  • une massification des points de convergence d'intérêts et de mutualisation des compétences afro-français dans toute la chaîne de production des connaissances et des valeurs.
La France a, par rapport aux économies africaines en phase de pré-industrialisation et en industrialisation, un handicap dû à son développement et à la structure même de son économie : elle propose aux États africains, une offre performante et de haute technologie pas toujours adaptée à la demande de basse et moyenne technologies des économies africaines. A elle seule, la maîtrise du savoir-faire technique n’est plus suffisante pour emporter la décision sur des marchés complexes où une multitude de paramètre entre en ligne de compte. Les entrepreneurs français doivent s’adapter aux exigences du marché, savoir écouter les desiderata des prospects. La crise économique actuelle ainsi que l’exacerbation de la concurrence des émergents et le nouveau système de besoins et attentes des pays africains vont créer un processus de sélection naturelle. Les entreprises qui parviendront à suivre et à absorber la charge des émergents et des exigences locales devront trouver de nouveaux relais de croissance (hors pétrole et matières premières) donc fonctionner différemment. Il s’agit de proposer aux acteurs économiques locaux des réponses faciles et des solutions peu onéreuses à mettre en œuvre. Les émergents en Afrique ont fait preuve de simplification, de persuasion et même d’influence en s’appuyant sur des offres adaptées et conformes aux besoins des clients finaux avec pragmatisme.

Troisième urgence : Intégration de l'offre française dans les économies africaines et non addition

Dans le scénario industrialisant, les pays africains, attendent et réclament des délocalisations pour organiser le transfert de technologies et une réelle prise en main de l’émergence économique. La France a-t-elle la volonté manifeste de dépasser le réductionnisme technologique ?
Les pays africains mettent l’accent non sur l’accumulation quantitative de technologies, mais sur leur intégration dans une approche globale - qualifiée d’holistique – du développement et de la planification économique à long terme. Ces pays n’ont pas la technologie, mais ont une vision stratégique et politique du développement économique. C’est une approche classique des stratégies de rattrapage technologique qui fait du retard un avantage, comme l’a théorisé Alexander Gerschenkron dans son ouvrage de 1962[i]. Ces pays peuvent marier une technologie traditionnelle qu’ils commencent à maîtriser et rechercher les synergies avec une technologie nouvelle importée. L’archétype de ces stratégies de rattrapage à long terme est la stratégie chinoise qui est en train de passer du « made in China » au « innovated in China »[ii] de plus en plus tirée par le marché intérieur,

Il est plus qu'urgent dans une logique d'offre de codéveloppement économique,  de co-production, des compétences, de connaissance et d'information, que la France propose des offres globales pragmatiques, c'est à dire, une offre intégrée et non des réponses française aux besoins africains par bloc. Face à la concurrence des émergents et des besoins légitimes pour leur émergence, les pays africains francophones attendent une réponse économique systémique française, axée autour de l’intégration économique. Il est intéressant de noter que, pour la première fois, les peuples africains vont demander aux acteurs économiques français, de s'intégrer dans leurs attentes. Car, les africains  formulent leur stratégie d’émergence en termes de développement à long terme et pas seulement en termes de débouchés commerciaux comme le fait la France.

Cette stratégie est cohérente avec l’état de l’art de l’économie de l’innovation : le capital matériel est mobile – donc copiable - tandis que les actifs immatériels (la connaissance, le savoir-faire, le capital social) sont enracinés dans un territoire et peu mobiles, donc devant être reproduits de manière endogène, par apprentissage, à partir des spécificités historiques du capital social du territoire. Les compétences sont de nature idiosyncratique, c’est-à-dire qu’elles sont propres à un contexte, voire une organisation, et difficilement déployables dans un autre. On peut copier une technologie, pas une compétence. Celle-ci doit se recréer en contexte par un long processus d’apprentissage endogène au pays et au territoire d’accueil. Elle dépend d’une culture technologique qui est elle-même fonction d’un capital social.

Il nous faut à tous penser intégration économique afro-française et non préservation des intérêts français en Afrique. Il faut pour cela partir des usages, des besoins, des attentes, des demandes, mais pas d'une stratégie mercantile qui se bornerait à ne voir l'Afrique que comme un marché d'écoulement de produits français.

Intégrer les deux approches

DB CONSEILS riche de sa longue expérience franco-africaine, propose une intégration des deux approches africaine et française en associant les entreprises, les universités et la volonté politique.

Pour cela, DB CONSEILS travaille à une gestion de la densité,  tant des offres que des politiques. Il nous faut remastériser la carte-mère culturelle, économique voire individuelle française. Les pays d’Afrique francophone ont de manière certes incohérente, une stratégie basée sur l’intégration des technologies existantes qu’ils peuvent se procurer dans les pays industrialisés, tandis que ceux-ci en général et la France en particulier ont des stratégies basées sur l’exportation. D’un côté des stratégies intégratives à moyen terme des pays africains qui dominent la demande dans l’espace francophone africain, de l’autre côté des stratégies addititives à court terme des entreprises françaises qui dominent l’offre.
Nous élaborons la proposition d’un cadre de référence commun basé sur le développement de la modélisation systémique permettrait de rééquilibrer cette inversion probable de leadership dans 20 ans au profit des pays africains.

En conclusion,  comment définir le schéma d'organisation de l'offre systémique de codéveloppement économique afro-française et franco-africaine ?

Du point de vue français

1- Cartographier les intégrations françaises aux économies émergentes africaines ;
2- Définir un business model national pour l'Afrique francophone intégrant les systèmes de besoins et attentes des pays et marchés cibles;
3- Établir des méta-règles de conception de la démarche française et africaine
4- Mettre en place une charte nationale de fonctionnement, d'organisation et de travail dans les rapports économique entre la France et les pays africains;

Du point de vue Africain (par pays et organisation sous régionale UMOA et CEMAC)

1. Recevoir des pays africain, de manière individuelle, un business model national qui intègre le système de besoins et d'attentes français
2. Établir des méta-règles de conception de la démarche africaine par pays et organisation sous-régionale
3.  Mettre en place une charte nationale de fonctionnement, d'organisation et de travail dans les rapports économique entre le pays africain et la France

C'est un challenge intellectuel, économique, financier et culturel lourd, mais qu'il nous faut relever car, les peuples africains attendent beaucoup du savoir-faire français, même si la France n'a pas un mandat spécifique et manque actuellement de ressources. Pour ne pas arranger les choses, la loi de Finances rectificative adoptée par l'Assemblée nationale française le 1er juillet 2014 prévoit une baisse de 2,5% de l'aide publique au développement et une coupe plus sévère encore de 10% au cours des trois prochaines années. Les députés français ont adopté le 1er juillet par 307 voix contre 232 le projet de loi de Finances rectificative pour l'année 2014. Le texte prévoit une coupe de 73 millions d'euros dans l'aide consacrée aux pays en voie de développement, ce qui ramène l'enveloppe française à un montant total de 8,3 milliards d'euros. Les africains attendent beaucoup des français, mais les français ne sont pas au courant,  faute d'une vision stratégique française conquérante  suffisamment au fait des spécificités africaines en pleine mutation. 

En 2015, les africains, pris individuellement et collectivement,  raisonnent en perspectives (j'en veux pour preuve la floraison des politiques d'émergence économique), qui sont loin d'être des slogans de communication politique, mais une vision du rattrapage économique africain avant 2050 avec ou sans la France.





[i] Economic backwardness in historical perspective (1962) : Gerschenkron montre que le développement ne suit pas une trajectoire linéaire, contrairement au modèle par étapes de W.W. Rostow, mais peuvent faire du retard un avantage sous les conditions suivantes : une stratégie institutionnelle de l’Etat qui draine le capital physique et humain, la priorité au capital productif sur les biens de consommation et sur l’économie de main-d’œuvre, l’emprunt des technologies des pays avancés, priorité aux gains de productivité et aux activités à rendements croissants par rapport aux activités à rendement décroissant.

[ii] Intervention du professeur Wu Zhiqiang, vice-président de l’Université Tongji, au séminaire sur les smart cities, Shanghai, oct. 2014

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