I.
Le violent pouvoir de la
communication d'influence
« Le savoir, plus que jamais
auparavant, est pouvoir. Le seul pays capable de mener à bien la révolution de
l’information, ce sont les Etats-Unis. (…) force multiplicatrice de la
diplomatie américaine, l’axe des technologies de l’information fonde le soft
power – la séduction de la démocratie et des marchés libres. » C’est ce
qu’écrivaient en 1996, dans la prestigieuse revue Foreign Affairs, le
professeur Joseph S. Nye doyen de la John F Kennedy School of Government d’Harvard,
et l’amiral William A. Owens, tous deux conseillers de l’administration
Clinton. Leur conclusion : seules les communications modernes, le Web au
premier chef, peut « encourager l’élargissement d’une communauté pacifique
de démocraties, meilleur garantie d’un monde sûr, libre et prospère ».
Dans un ouvrage au titre significatif, Bound to Lead : the changing nature
of american power, l’universitaire américain explicitait en 1990 ce qu’il
entendait par soft power : « c’est la capacité à réaliser des
objectifs désirés, en matière de relations internationales, à travers la
séduction plutôt que la coercition. C’est s’employer à convaincre les autres de
suivre, ou les amener à accepter les normes et instituions qui produisent le comportement
désiré. Le soft power peut reposer sur l’attrait exercé par les idées ou sur
l’aptitude à fixer l’ordre du jour de telle façon qu’il modèle les préférences
des autres. Si un Etat réussit à faire légitimer son pouvoir aux yeux des
autres et à instaurer des institutions internationales qui les encouragent à
endiguer ou limiter leurs activités, il n’a plus besoin de dépenser autant de
ses ressources économiques et militaires traditionnellement couteuses. »
Qu’en des termes ampoulés cette définition des conditions de l’hégémonie d’une
superpuissance s’estimant sans concurrence est dite !
Plus direct est le
discours du président Clinton : « sans croissance à l’étranger, notre
économie ne peut prospérer, sans croissance globale, une saine concurrence internationale
se transforme vite en guerre économique, et il ne peut y avoir de véritable
justice économique entre les nations ou en leur sein… aujourd’hui et dans un
avenir prévisible, le monde attend de nous que nous soyons les leaders et le
moteur de la croissance globale.
Ça se passe chez vous
ou ailleurs
Cette loi de l’échange inégal et
de la hiérarchisation du système mondial reste une donnée essentielle pour
analyser les rapports entre les économies, les sociétés, les cultures dans le monde et plus particulièrement en Afrique. Ce sont
ces logiques d’exclusion dont tente de rendre compte aujourd’hui la notion de
« communication monde », notion qui restaure l’histoire sur le devant
de la scène. Partout, des formes inédites de concurrence opposent les
territoires entre eux et produits des usages différenciés de ceux-ci.
Une
« économie d’archipels » se forme avec ses mégapoles d’excellence
technologique, lieux nodaux des marchés et des réseaux mondiaux. C’est cette
réalité que peignait avec lucidité le sous commandant Marcos en 1997 en se
référant à la guerre contre les deshechables (les « jetables ») de la
planète néo libérale comme ouvrant la « quatrième guerre
mondiales » : « la suppression des frontières commerciales,
l’explosion des télécommunications, les autoroutes de l’information, la
puissance des marchés financiers, les accords internationaux de libre échange,
tout cela contribue à détruire les Etats nations.
Paradoxalement, la
mondialisation produit un monde fragmenté, fait de compartiments étanches, à
peine reliés par des passerelles économiques. Un monde de miroirs brisés qui reflètent
l’inutile unité mondiale du puzzle néo libéral… le néo libéralisme ne fragmente
pas seulement le monde qu’il voudrait unifier, il produit également le centre
politico économique qui dirige cette guerre. Il est urgent de parler de la
métapolitique. La « nature » elle-même semble fomenter de nouvelles
sources d’iniquités, les désordres climatiques et autres catastrophes
« naturelles » affectant d’abord et de plus en plus les pays et les
régions les plus pauvres.
C’est sur cette carte chaotique
des fragmentations que viennent s’inscrire les nouveaux modes d’opposition à la
Realpotitk néo libérale, ce que Marcos appelle les « poches de
résistance », dont témoignent aussi bien les protestations lances depuis
la rue contre les stratégies du FMI et de la Banque mondiale par les secteurs
populaires et les classes moyennes paupérisées d'Afrique, que les
grandes grèves contre les logique monétaristes qui guident l’édification des
grandes zone régionales de libre échange dans les grands pays industriels.
C’est sur carte également que tracent leurs lignes les réseaux parasitaires de
l’immonde (le sale et l’amoral, contrepoint du mundus, le propre, le bien
ordonné »), les nouveaux fronts planétaire du désordre, les « espaces
de l’ombre » ou réseaux du marché noir de la vie. Circuits de l’économie souterraine,
réseaux mafieux et trafics illicites (des narcotiques à la pédophilie en
passant par la contrebande électronique), fronts de l’intégrisme, fronts des
sectes, flux transnationaux des diasporas clandestines. Les stratèges du soft
power et de la netwar ne s’y trompent pas lorsqu’ils évaluent le risque que
selon eux, font encourir à la « sécurité collective » les usages
d’internet aussi bien par le narco trafic (2 milliards de narco dollars à
recycler chaque jour sur les marchés !) que par les nouvelles formes
réseautiques de l’ »activisme politique international » (où ils
entassent d’ailleurs pêle-mêle le mouvement zapatiste, les groupes islamistes
et les ONG).
L’opinion est devenue
le principal enjeu des guerres actuelles
Au mot d’influence trop faible,
il faut préférer « emprise » qui suggère l’idée de prise en main ou
encore « guidage intellectuel et moral ». Ce guidage des élites ou
comme on dit aujourd’hui, des décideurs, se comprend au sens cybernétique du
mot (d’un mot grec qui signifie « gouvernail »). La grille de lecture
structurales, voire fixiste que je propose part d’un postulat simpliste, mais
que je crois vérifiable empiriquement : pas de sociétés, donc, sans
instance de contrôle et de surplomb et tel est bien le rôle que joue, bon an
mal an, la puissance médiatique aujourd’hui.
L’opinion est devenue le
principal enjeu des guerres actuelles, en fait des expéditions punitives du
fort contre le faible. Dans une société qui tend à s’identifier aux victimes,
émotionnellement du côté du faible, comment exercer impunément la suprématie de
la force ?
La gestion de ce problème émotionnel constitue la tâche
prioritaire des gouvernements, comme on l’a vue dans la guerre d'Irak, de Syrie, les guerres israélo-palestiniennes, du Mali, d'Afghanistan, etc..., le
rapport de force y était de mille à un ou bien davantage. Pour qui examinait le
rapport des PNB ou des forces militaires, l’issue n’était pas douteuse. Ce qui
était douteux, et méritait donc votre travail quotidien, c’était l’adhésion des
cœurs et des esprits. L’enjeu n’était pas ce qui pouvait se passer sur le
terrain, et que l’on savait par avance. Tant qu’on en restait au matraquage
aérien, électronique et informatique, la guerre était moins une guerre qu’un
jeu, un Kriegspiel où le seul problème est d’empêcher le décrochage intérieur,
ce que les gouvernements font de mieux en mieux avec les clergés et perroquets nationaux. En Afghanistan, Irak, Ukraine, Kosovo, les choses se sont, somme toute, bien passées, même si leur gestion
a exigé beaucoup de doigté. Beau programme, pour un médiologue : au cours
de ces guerres, reconstituer pas à pas toute la chaîne des décisions, des
opérations, la coordination entre le temporel et le spirituel.
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